Tout passe, une nouvelle de Charles Traore
Tout passe !
Un soir alors que j’étais encore enfant, ce jour-là même où mon père m’apprit que je dormirai désormais seul dans ma case, j’entendis le coq chanter.
Il devait être huit heures du soir. Je n’étais pas au nombre de ceux qui pouvaient prétendre avoir une horloge, mais je savais assurément, à tout temps et en tout lieu, dire l’heure qu’il faisait. Je l’avais appris de mon grand-père. C’est de lui de même que j’avais appris qu’un coq qui chante en pleine nuit, de façon intempestive, était le signe qu’un malheur allait s’abattre sur la famille. Le coq nous prévenait ainsi d’un mauvais présage.
Lorsque couché sur ma natte, j’entendis ce coq chanter à plusieurs reprises, une grande frayeur s’empara de moi si bien que je me suis mis à prier, à implorer tous les dieux de l’univers, afin qu’ils protègent ma famille de tout malheur quelconque. Très peu rassuré de l’efficacité de mes incessantes prières, je me suis mis à penser à la nature du malheur qui pouvait s’abattre sur nous. La pensée de la mort me traversa l’esprit. Je réussis à l’expulser en me disant que mes parents et nous-mêmes, étions trop jeunes pour être emportés par la mort. Je n’étais point un naïf ; loin de là. Seulement comme beaucoup, j’ai toujours pensé que le malheur, c’était l’affaire des autres !
Pendant que j’étais plongé dans mes pensées, l’étrange bruit de ma chienne m’interpella. Je me suis alors levé et j’ai retiré la clef de la serrure de ma porte, pour tenter d’entrevoir ce qui se passait dans la cour. Ma case n’avait pas de fenêtre et la seule façon de pouvoir regarder discrètement et bien à l’abri était à travers le trou de la serrure.
Je n’ai pas réussi à voir grand-chose dans cette nuit noire, mais je garde encore le souvenir de ma chienne se battant farouchement contre deux bêtes plus grandes qu’elle et fatalement plus fortes qu’elle. Elle venait d’avoir trois petits. Quel animal ce chien ! Je l’avais reçu de mon grand-père. Un ami à lui qui l’avait reçu d’un de ses amis a voulu la mettre à mort quand elle était encore petite, parce qu’elle s’était fait arracher la patte avant droite par accident. Un gros mortier l’avait entièrement écrasée en se renversant au moment où les femmes pilaient du mil rouge. Pour cet ami, elle n’allait pas survivre à sa blessure et même si elle y survivait, elle perdrait d’office ce qui faisait d’elle un chien, à savoir l’usage de ses quatre pattes.
Mon grand-père me l’apporta un soir et me dit : « Voici le chien que je t’avais promis depuis belle lurette. C’est une femelle et contrairement aux autres, elle a trois pattes. Eh oui, tout comme aux Hommes, il arrive aussi aux chiens d’êtres difformes mais cela n’enlève rien en eux de ce qu’ils ont de chien. Cette chienne te donnera toute la joie dont tu as besoin si tu acceptes de lui accorder la patience et l’attention nécessaires. » Il avait raison, mon grand-père. Aucun chien ne me rendit aussi heureux que Tout-passe. Quel animal ! Elle me suivait souvent d’un village à l’autre sans trêve. Elle chassait souventefois à mes côtés, Tout-passe ! Elle a toujours été courageuse. Cette triste nuit-là, ses petits s’étaient fait dévorer et elle-même fut effroyablement déchiquetée. Je lui suis infiniment reconnaissant ; elle s’est courageusement battue contre deux bêtes pour nous défendre et protéger ses petits.
Charles TRAORE