Une fiche de lecture signée Eric Allard pour Spirales Urbaines de Carine-Laure Desguin
Liberté de la poésie
Métissée et généreuse, musicale et colorée (musicolore, écrirait-elle), la poésie de Carine-Laure Desguin utilise toutes les ressources du langage et du savoir (même si c’est pour s’en moquer) pour parler des humains et des lieux où ils vivent, notamment dans les « tissus des villes » qui renferment un « patchwork de rues et de ruelles », comme Charleroi visité par Rimbaud, à qui elle dédie nommément un poème.
Elle emprunte aux éléments du cosmos pour décrire les autres, à la course des étoiles pour dessiner leur géométrie intérieure.
Même au sol, sans abri, exilés, oubliés de l’histoire officielle du capitalisme, ses personnages regardent vers le ciel où sont les astres, la lumière. L’aventure est là-haut, se dit l’homme barbu... d’un de ses plus beaux poèmes (Enroulé tout autour). Elle est tournée vers le haut, ce qui élève hommes et femmes, et non ce qui les rabaisse, les maintient à terre, prisonniers de leur condition...
Même si sa poésie décolle, en feux d’artifice d’images nombreuses, elle ne quitte pas le terrain narratif et le champ musical. Comme si les rimes et le récit lui permettaient ses envolées littéraires.
Elle aime à court-circuiter son propos, ne pas s’embarrasser de vocables inutiles, en ponctuant ses poèmes de néologismes, souvent des substantifs transformés en forme verbales conjuguées ou participes présents car la matière est énergie, le nom riche d’action. Exemples à l’envi : kayakaient, carabossait, kiosquant, horlogea, clochetta, wagonner, oreillant...
Ce sont ses jeux à t’aime avec la langue.
Accessoirement elle parle d’elle, jamais directement : il faut deviner les biographèmes derrière certaines métaphores. Elle « cherche le chemin » (Les vérités se déshabillent), l’or du temps, dirait Breton, (ou du tendre) dans le creuset des images qui agissent comme une baguette magique, ou de sourcier, pour atteindre la source de son être. Elle devient alors, selon la célèbre formule de Nietzsche, ce qu’elle est. Quête, au fond, de tout poète véritable.
Carine-Laure a retenu la phrase de Lautréamont sur la rencontre fortuite (sur une table de dissection) d'une machine à coudre et d'un parapluie. Elle, développe la rencontre de la nacelle et du cerf volant ou celle de la tige et de l’ascenseur, fable dans laquelle on comprend que le béton l’inspire autant que la flore, que les spirales urbaines sont le reflet deshélices végétales.
Plusieurs textes résistent, et c’est salutaire en manière de poésie, aux tentatives d’en percer le mystère. Parce que peut-être ils touchent à ce qui motive son écriture, son existence. Ainsi ceux mettant en scène ce tampon indocile, ce guerrier des aiguilles conduisant, à travers un parcours solaire, aux éclectiques libertés.
Le recueil est fait de six sections d’une dizaine de poèmes chacun : Les oiseaux des villes – Transit – Les éclectiques libertés – Sans jamais se le dire – Les équinoxes flamboyantes – Grand les fenêtres
C’est le livre d’une guerrière du quotidien qui a pris ses quartiers sur les hauteurs d’une ville d’où elle lance ses flèches verbales en direction des assiégeants, des ennemis de tous bords, et distribue aux assiégés ses ballons d’oxygène en forme de respiration poétique. De mots chlorophyllés.
Le sujet est libre et ces vers sont là
Ils appellent il résonnent et raisonnent encore
Appellent au secours pour que ces gens-là
Respirent la vie pour chasser la mort
(Les oubliés, C.-L. Desguin)
Éric Allard