Une vie à deux, une nouvelle d'Alain Magerotte
UNE VIE À DEUX
Ce matin-là, à l’aube d’une journée printanière propice à l’humeur joyeuse, le premier réflexe de Martin Forest est de froncer les sourcils. L’incomparable odeur du café chatouille ses narines et, plutôt que de se laisser griser par cette agréable sensation, l’homme est préoccupé car, il n’a pas souvenance d’avoir descendu l’escalier pour gagner la cuisine, ni d’avoir actionné le bouton qui enclenche le percolateur. Anodin pour le commun des mortels, mais pas pour Martin Forest, quand on sait de quelle façon celui-ci a structuré sa vie conjugale au fil des années. Dans le couple qu’il forme avec Candy, un enfant n’aurait pas trouvé sa place. Tout est programmé dans une existence lisse, passée au papier de verre, où chacun s’acquitte de tâches bien délimitées, afin que cela roule pour le mieux dans le meilleur des mondes, celui de Martin Forest qui a tiré un trait sur les années frivoles où l’argent venait souvent à manquer, rendant les fins de mois pénibles. A l’époque, l’insouciance, agissant comme un leitmotiv, poussait à la réalisation de projets insensés. Une «folie» qui, avec le temps, baissera pavillon devant la réalité de la froideur des chiffres composant le budget du ménage et les factures à payer. Aujourd’hui, donc, place au quotidien frileux mais rassurant.
Toutefois, Martin sait que rien n’est définitivement acquis et qu’il se doit de rester vigilant, par exemple, vis-à-vis des insomnies de Candy, qui l’agacent profondément. A travers les reproches qu’elle lui adresse souvent, Martin la soupçonne de mettre à profit ses heures d’errance nocturnes pour raviver, à grands coups de nostalgie, le temps de la désinvolture qu’il pensait, par son comportement rigoureux, avoir enfoui à jamais.
Dans cette optique, le fait que Candy ait préparé le café du petit-déjeuner, le premier devoir au quotidien de son époux, ne s’apparente plus à un coupable moment de distraction. Martin comprend plutôt dans cet acte délibéré, un signe de rébellion contre une organisation drastique qui a fait ses preuves et qu’elle juge pourtant oppressante. Une attitude qui vaut son pesant de vigilance accrue… Forest a l’intention de rectifier le tir et cela, sans tarder. Ainsi apaisé par la volonté de ne pas laisser la situation se détériorer, notre homme estime être en droit de commettre un écart à son tour. Est-ce la faute à l’arôme prenant du café qu’il hume ?... Aux fragrances printanières ?... Aux deux parfums mélangés ?… Si bien que Martin passe la main sur le corps chaud de son épouse. Bientôt, trahi par ses sens, il se met à la caresser en se rapprochant d’elle.
«La bête est encore d’attaque !» se rengorge-t-il. Quand s’était-il montré aussi entreprenant ? Le souvenir s’est perdu dans l’oubli. A présent, il parcourt la nuque de Candy par petits coups de langue tout en faisant courir ses mains sur ses hanches et sur ses cuisses. L’amour le guide-t-il ou est-ce le plaisir de l’instinct ? Il ne saurait le dire… au fond, est-ce important ? Pour Candy, certainement. Mais, il n’est pas Candy…
La femme, surprise, s’étire puis, se retourne.
« Hum ! Qu’est-ce qui se passe ? Monsieur a retrouvé le désir et termine ce qu’il avait commencé…
- Que me chantes-tu là ? »
Si elle avait voulu couper ses effets, elle ne s’y serait pas mieux prise.
« Après un début de nuit prometteur durant lequel Monsieur s’est montré… assez audacieux… Monsieur s’est assoupi…
- Je… je ne comprends pas…
- Ah, cette fierté de mâle ! Il n’y a aucune honte à s’endormir lorsqu’on est fatigué… même si c’est après les prémices d’une relation qui s’annonçait (soupir)… torride !
- Je suis encore conscient de ce que je fais et…
- Reportons cela à ce soir, veux-tu ? Tu risques d’arriver en retard au boulot et je sais combien tu as horreur d’être bousculé. Il est (elle jette un œil sur le réveil matin) l’heure de se lever… je sens d’ailleurs que tu as déjà préparé le café…
- Puisque tu le dis… »
Ainsi, Martin apprend qu’il commet des actes à son insu. Et l’homme n’est pas au bout de ses surprises. Après avoir cherché ses pantoufles dans la chambre, il finit par les récupérer devant le lavabo où flotte, sur une eau claire, son gant de toilette, prêt pour ses ablutions matinales.
«Qu’est-ce que cela signifie ? Est-ce que je déraille complètement ? Suis-je atteint d’un dédoublement de la personnalité, de ce type de maladie mentale qui fait que la main gauche ignore ce que fabrique la droite ? Vais-je devoir m’allonger sur le divan d’un psy ?»
Martin Forest se sent la proie d’un mystère bousculant sans vergogne son pragmatisme pointu.
En descendant l’escalier, la crainte d’être confronté à de nouveaux éléments dérangeants le taraude. Candy est attablée.
« Où est ma tasse ? interroge-t-il, appréhendant une réponse qui le confirmerait dans son trouble.
- Dans l’évier où tu l’as mise après avoir bu ton café… comme tu le fais à chaque fois… Monsieur ne supportant pas de voir traîner les choses… mais, je constate que la gaieté de tout à l’heure s’est envolée… et puis, pourquoi avoir changé de vêtements pour les remplacer par cette tenue terne ?
- J’ignore ce qui se passe ici… je me demande si je ne commence pas à perdre la boule…
- Attends, j’essaye de comprendre… en partant, il n’y a pas cinq minutes, tu m’as dit qu’il y avait belle lurette que tu ne t’étais plus senti aussi bien…
- Je ne suis pas parti puisque j’arrive… et je ne t’ai rien dit… oh, et puis zut, c’est marre à la fin ! tonne Martin, agité.
- Pourrais-tu me dire à quel jeu tu joues ?
- Si tu penses que j’ai le cœur à jouer ! J’essaye de comprendre, c’est tout…
- De comprendre quoi ?
- Rien, laisse tomber ! J’appellerai le Docteur Delanoo dans le courant de la matinée…
- Excellente idée…
-… Pour lui parler de tes insomnies, elles sont la cause principale de ce qui m’arrive aujourd’hui…
-… Parce que c’est de ma faute si Monsieur est contrarié ? Mes insomnies, t’y touches pas, d’accord ? Elles me permettent de m’évader…
- De t’évader ? Dis tout de suite que tu vis dans une prison ! »
- Ce… n’est… pas ce que je veux dire…
- C’est ce que je comprends ! Bon, à ce soir ! »
Martin Forest enfile sa veste et prend sa mallette. Il va quitter le domicile conjugal lorsque le voilà, repiquant du nez dans la cuisine.
« Monsieur a oublié quelque chose ?
- Oui, mon casse-croûte… »
Candy est secouée d’un rire nerveux.
« Tu le fais exprès ? Ton premier réflexe a été d’ouvrir le frigo pour…
- Ça va, ça va, je connais la suite… mon casse-croûte est déjà dans ma mallette, je n’ai pas besoin de vérifier… »
La foudre s’abattrait sur le couple Forest qu’elle ne provoquerait pas plus de dégâts. Martin et Candy, ne savent plus que penser, ni que dire. Pourtant, les mots s’avéreraient si réconfortants. Mais ils sont empêchés par une incompréhension mutuelle qui n’est pas neuve et qui prend, à l’instant précis, une tournure nouvelle, face à la présence de quelque chose d’inédit; quelque chose d’insolite et qui dérange. Un inconnu sournois, terrible, qui tire les ficelles d’une histoire abracadabrante, attendant le moment adéquat pour placer de nouvelles banderilles, plus blessantes, plus meurtrières.
Dans le tram qui le conduit jusqu’au métro qui le mènera sur son lieu de travail, Martin éprouve de la peine à se concentrer sur sa lecture. Il jette sans arrêt des regards par la vitre, ce qui l’oblige à reprendre, chaque fois, depuis le début, le paragraphe qu’il avait laissé en suspens. Il finit par abandonner et glisse L’hippopotame de Stephen Fry dans sa poche pour se fondre dans l’ambiance qui lui est familière tous les matins, regardant sans voir, entendant des bribes de conversation sans les écouter.
Ce sont toujours les mêmes têtes, les mêmes personnes qui s’assemblent pour converser. Martin évite d’appartenir à un groupe. Il devrait alors payer de sa personne en écoutant, en s’intéressant. Il a convaincu Candy, jusqu’à l’intox, de préserver à tout prix leur tranquillité. Leurs rares connaissances savent que l’imprévu n’est pas de mise et les visites régulières, peu appréciées. «Ne pas s’engager est encore la meilleure attitude à adopter pour vivre en harmonie avec autrui et ne pas se brouiller avec son prochain.» Une philosophie à laquelle s’est ralliée Candy, bon gré, mal gré.
Fidèle à sa doctrine, Martin veille à ne pas s’asseoir sur une banquette à deux places… quelqu’un pourrait s’installer à ses côtés pour engager la conversation puis, y prenant goût, l’enquiquineur serait tenté de récidiver les jours suivants.
Le nez collé à la vitre, Martin voit défiler le flot continu des voitures. «Dire que Candy aimerait que j’achète une bagnole… quel beau placement… à fond perdu… l’assurance, l’essence, l’entretien ! L’évasion, la liberté, oui, mais à quel prix ! Il y a aussi les nombreux risques d’accident… la route tue tous les jours. Regardez-les, ils sont là, tous, dans leur cercueil roulant à s’épuiser dans une circulation soumettant les nerfs à rude épreuve. Et vas-y que je joue du klaxon ou que j’engueule le veau qui précède… quant au flic, pauvre mime, il pense maîtriser la situation à grand renfort de gestes désordonnés. Des coups de sifflet par-ci et un bâton que l’on brandit par-là pour en arriver à un résultat dérisoire… ça n’avance pas, ou presque… au pas d’homme ! Comment peut-on se sentir vivant dans un cimetière de voitures ? Car, c’est bien à cela que ressemblent les villes : à un cimetière de voitures…»
Sur le quai du métro, Martin laisse filer deux rames qu’il juge trop remplies. La perspective d’être comprimé l’exaspérant; il préfère éviter le flux excessif des voyageurs.
A la première station, des contrôleurs montent dans le compartiment. L’un d’eux, un rouquin bedonnant, échange quelques propos avec l’un de ses confrères en désignant Forest du menton qu’ils ignorent ensuite en ne procédant à une vérification du titre de transport qu’auprès des autres voyageurs. Y aurait-il un lien avec les bizarreries qui se sont produites ce matin ? Martin, aspiré dans le tourbillon du quotidien, les avait presque oubliées. Ses inquiétudes reprennent le dessus et, pressé par l’urgent besoin de savoir, il rejoint le groupe des surveillants en brandissant son abonnement.
« Ce n’est pas nécessaire, M’sieur, fait le plus grand, mon collègue, il désigne le rouquin bedonnant, vous a déjà contrôlé… Hé, Charles !
- Qu’y a ? fait l’autre, dardant ses yeux porcins en direction de Martin.
- Tu m’as bien dit que t’avais déjà contrôlé Monsieur ?
- Ouais… dans la rame précédente… répond le prénommé Charles, hochant la tête de haut en bas pour renforcer son affirmation.
- Vous êtes certain que… c’était moi ?
- Ah, ça pour sûr ! La même tête… la même mallette… sauf… les vêtements… au fait, vous pourriez me dire comment vous avez fait pour vous changer aussi vite ? questionne-t-il, goguenard.
- O.K., ça va, interrompt le grand. Il s’adresse à Forest :
- Excusez Charles, l’a dû confondre…
- Il a vu juste ! Aujourd’hui, je virevolte, je suis un feu follet… ce matin, j’ai dit à ma femme, qu’il y avait belle lurette que je ne m’étais plus senti aussi bien, interrompt Martin, d’ailleurs, attendez-vous à encore croiser ma route… au revoir… à tantôt ! » Et, faussement guilleret, il prend congé des préposés hébétés qui le regardent regagner sa place que personne n’a eu l’outrecuidance d’occuper en profitant de sa brève absence.
Avant de se rasseoir, Forest observe à la ronde, comme si la cause de son tracas, qui l'irrite, allait se révéler brutalement. Il bat en retraite devant les regards des curieux, car il n’aime guère être un pôle d’attraction, ni susciter l’intérêt. Cela l’obligerait à s’extraire de sa coquille où il a l’impression de se protéger du monde qui l’entoure et l’indiffère.
Comme chaque matin, Martin achète le journal dans un kiosque proche de son lieu de travail. En faisant la file, il observe que le libraire lui lance des coups d’œil à la dérobade. Quand son tour arrive, Forest l’apostrophe :
« Oui, je sais, je suis déjà venu chercher mon canard, y a pas cinq minutes… mais c’est mon droit de m’en procurer autant d’exemplaires que je le souhaite, non ? »
Le libraire demeure interloqué par le comportement absurde d’un client qu’il considérait, jusqu’à ce jour, comme un Monsieur paisible dont l’agressivité verbale, inusité, ne cadre pas du tout avec l’allure débonnaire qu’il dégage.
La porte de l’ascenseur s’ouvre pour libérer ses occupants. Martin fait un pas en arrière pour céder le passage… un pas en arrière… on se torture les méninges pour trouver la solution à une contrariété alors qu’il suffit parfois de faire tout bêtement un pas en arrière, même si cela rebute parce qu’on a l’impression de faire une concession à un passé dont on ne veut plus entendre parler. Et ce retour, si malaisé soit-il, permet souvent de découvrir la cause d’un désagrément qu’il faut alors juguler d’urgence. Comment n’y a-t-il pas songé plus tôt ?
Martin n’ira donc pas travailler. Il fait demi-tour pour rentrer chez lui, persuadé que ce qui le tracasse depuis ce matin a été piégé par cette incursion, furtive mais efficace, dans le passé.
En effet, le résultat ne se fait pas attendre. Quelques mètres plus loin, il aperçoit une silhouette qui, d’une démarche souple, légère, contrastant avec la sienne, se dirige vers la station de métro. Une silhouette habillée de vêtements aux couleurs gaies, vives, tranchant furieusement avec son pantalon crème, son polo gris et sa veste beige. Une silhouette on ne peut plus familière puisqu’elle est… celle du Martin Forest fantasque d’autrefois !
«La même tête… la même mallette…» ces mots reviennent dans sa mémoire avec davantage d’acuité. Un sosie… un double… tout le monde possède un double… mais… une ressemblance si frappante ! Cela relève du domaine de l’irréel, de la science-fiction !
Martin est soudain en proie à la panique. Il voudrait fuir mais, sa raison, dans un formidable sursaut d’énergie, l’amène à considérer que la fuite n’arrangerait rien, au contraire. Elle aggraverait la situation dans laquelle il se débat. Martin Forest décide alors de pister… Martin Forest qu’il tient à distance pour ne pas éveiller les soupçons. Martin «suiveur» redoute, en effet, que Martin «suivi», se sentant observé, ne se retourne et, l’apercevant, ne prenne la fuite. Tout serait à refaire. Martin «suiveur» s’est improvisé en professionnel de la filature car Martin «suivi» poursuit son chemin, sans soupçonner le vif intérêt qu’il suscite.
Dans l’attente de la rame du métro, Martin «suiveur» se plonge dans la lecture du journal tout en veillant à ne pas perdre de vue... Martin «suivi» qui lit le journal également.
Martin «suivi» prend la peine de s’arrêter chez un fleuriste pour acheter un bouquet de roses rouges. Leur nombre est impair, Martin «suivi» est amoureux ! Arrivé à destination, il fouille sa poche et sort une clé qu’il glisse dans la serrure puis, disparaît dans la maison. Martin «suiveur» est anéanti. Les questions se bousculent, pressantes : comment aborder celui qu’il a été et qui, sans crier gare, resurgit dans son existence ? Comment, ensuite, mettre hors d’état de nuire, un adversaire que l’on était certain d’avoir définitivement écarté ? Car ce Martin Forest-là est en surplus… pas si sûr ! Les dés ne sont-ils pas déjà jetés ? La préférence de Candy penchera vers ce Martin prévenant, élégant. Elle est restée follement éprise de l’amant fougueux d’hier. Un amant fougueux, ressuscité par on ne sait quel miracle, en compagnie duquel son épouse va revivre les sensations perdues. Une comparaison cruelle pour l’invivable calculateur grincheux que Martin Forest est devenu…
Bien qu’il ait banni le mot improvisation de son vocabulaire, Martin «suiveur», sans réfléchir, pénètre à son tour dans la demeure.
Il découvre un rez-de-chaussée désert. Impatient, nerveux, essayant malgré tout de conserver son calme, il perçoit de la vie en provenance de l’étage. Il monte l’escalier en étouffant du mieux possible le bruit de ses pas, atteignant bientôt un palier au bout duquel se découpe la porte entrouverte de la chambre à coucher qu’il pousse. Il manque de défaillir à la vue de sa femme allongée sur le lit, complètement nue !
« Candy !… Mais… qu’est-ce qui te prend ? »
« Martin… est-ce que tu sais ce que tu veux ? C’est toi-même, il y a quelques instants… désirant passer la journée avec ta petite femme pour lui faire l’amour… tu m’as suggéré de monter dans la chambre et de t’y attendre… je te retrouvais tel que tu étais auparavant… j’étais heureuse… même si j’avais… j’avais de la peine à y croire, je trouvais cela si merveilleux… tu étais si persuasif…
- Candy, rhabille-toi, s’il te plaît et, cessez de me prendre pour un imbécile tous les deux ! Dis-moi où se cache cet imposteur ?
- Ça suffit à la fin ! Je ne suis pas un yo-yo ! » s’insurge Candy, horrifiée, se réfugiant sous les draps que Martin retire.
« Où ça ? » rugit-t-il, ouvrant la penderie, tu vas me le dire, dis ? » vocifère-t-il en agrippant la jeune femme par les épaules sur lesquelles, il laisse des traces rouges, témoins de la fermeté de sa poigne. La porte d’entrée claque.
« Le traître, il s’enfuit ! » Et Martin de lâcher son étreinte pour dévaler les escaliers à toute vitesse.
« Casse-toi ! Va au diable ! Tu as perdu la raison ! J’en ai assez de vivre avec un fou ! Il est grand temps de te faire soigner, mon vieux ! » sanglote Candy en lançant les oreillers contre le mur.
Martin Forest «poursuiveur» se lance sur les traces de Martin Forest «poursuivi», animé de la ferme intention de lui faire regretter cette renaissance hors du temps. «Il n’a pas le droit d’évoluer dans une époque qui ne le concerne plus. Ce monstre anachronique ne peut qu’attirer le malheur. On ne vit plus avec son passé même si, profitant d’une belle journée, il joue les séducteurs…»
Martin «poursuiveur» va rejoindre Martin «poursuivi» quand, les deux hommes déboulent à un carrefour.
Martin «poursuivi» traverse in extremis, au moment où le feu passe au vert pour les voitures. Martin «poursuiveur» s’engage à son tour et ne voit pas un de ces véhicules, qu’il exècre tant, arriver en trombe.
Percuté de plein fouet, Martin «poursuiveur» est projeté en l’air… le temps suspend brusquement son vol plané pour lui faire apparaître toute la platitude de l’existence de la marionnette «Martin Forest», agitée dans une vie qui s’écoule sur fond de journées maussades. Une vision devenue, sous le choc, insupportable. Déployant alors une énergie décuplée par la perspective de repartir à zéro sous de meilleurs cieux, il s’extrait de ses carcans obsessionnels, tel un serpent en période de mue, et abandonne sur le pavé, la peau de l’être monolithique qu’il était.
Dépendante de sa nostalgie comme on peut l’être d’une drogue, Candy Forest aurait-elle, durant un de ces nombreux soirs où le cafard la serrait d’un peu trop près, ranimé l’homme qu’elle avait connu ?
Cette histoire tendrait ainsi à prouver la véracité d’une légende très ancienne, oubliée par la plupart, certifiant la résurrection d’un être cher à condition de le regretter intensément.
A prendre avec circonspection cependant, car, à ce jour, aucune démonstration scientifique n’a confirmé le phénomène.
Alain Magerotte
Extrait du recueil "Restez au chaud, dehors, il pleut ", Ed. CHloé des lys.