Un nouvel extrait de "Gwen, adieu", le nouveau thriller de Christine Brunet

Aéroport Manas – Kirghizie – 02 novembre 15h55
Le Boeing 737 atterrit à l’heure sur le seul aéroport international de
ce petit pays d’Asie centrale. Le long bâtiment bas en béton sans intérêt
architectural défila devant le hublot tandis que l’appareil se garait entre
un Boeing d’Air Manas et un Pegasus Airlines.
Légère bousculade à la sortie puis la salle des bagages et la douane dans
un décorum très épuré, froid, un peu usé voire désuet : un reliquat de
l’ère soviétique probablement. Quelques guichets de change, mais aucun
touriste pour les squatter.
Gwen passa dans le hall d’arrivée et fouilla des yeux la foule disparate
des amis et des parents. Inutile de penser que le fameux Pavel serait là
pour l’attendre. Elle se dirigea donc, sac à l’épaule, vers la sortie et héla
un taxi orange qui s’empressa de dépasser la file des voitures particulières,
flairant la course juteuse.
Elle ouvrit la portière arrière, se pencha et s’apprêtait à monter pour
donner sa destination (un bon hôtel en centre-ville repéré, au cas où, lors
de la courte attente à Roissy) lorsqu’une main referma d’autorité le battant
tandis qu’un corps massif s’interposait, l’obligeant à retrouver le trottoir.
–– Je crois que nous avons rendez-vous ! jeta une voix masculine en
français avec un fort accent slave.
Elle se redressa et détailla le personnage qui dépassait son petit gabarit
de vingt bons centimètres : 1m75 environ, glabre, cheveux bruns très
courts, la cinquantaine bien portée, muscles saillants sous un T-shirt blanc
moulant et des yeux d’un marron noisette surprenant.
–– Tiens ! Je me demandais justement si vous aviez reçu mon message…
répliqua-t-elle du tac au tac avec ironie en se demandant comment il
pouvait supporter la température sibérienne à cette altitude. Un véritable
dur à cuire…
Elle lança au chauffeur de taxi dépité un « sorry » rapide avant de
donner toute son attention au personnage.
–– Ma voiture est par là, grinça d’une voix autoritaire celui qui ne
pouvait qu’être le dénommé Pavel.
Pas question de refuser son « offre », et puis elle était là pour ça…
Son regard accrocha le biceps et un bout de tatouage qui l’interpella :
une main fermée autour du canon de ce qu’elle soupçonnait être une
Kalachnikov sur fond rouge, sûrement une étoile… Un Spetsnaz ! Ou un
ancien des forces spéciales russes. Les choses se compliquaient un peu plus
d’autant que l’un des gestes dévoila un bout de dessin lui faisant penser à une
chauve-souris stylisée, symbole du GRU et de l’OMON : que faisait ce
genre de type dans le paysage ? Pourquoi un agent spécial russe trempait-il
dans l’histoire ? Était-il encore en activité ou était-il devenu un mercenaire
comme Kolenko, le tueur de Malte ? Probable… Elle se dit soudain qu’elle
n’aurait jamais dû venir et que cette erreur allait lui être fatale.
Un 4x4 haut sur roues, très carré, noir : une UAZ48 sinistre aux vitres
omniprésentes, mais très teintées. Le Slave ouvrit la portière arrière et la
poussa sans ménagement sur la banquette en lui bloquant toute possibilité
de fuite ou d’esquive, sac sur les genoux. L’intérieur, en tissu noir,
était spartiate. À ses côtés, un autre balèze, cheveux blonds ondulés tirés
en arrière pour un visage buriné au regard sévère. Au volant, à côté d’un
Pavel fermé et froid, limite hostile, un homme plutôt fluet aux origines
asiatiques de ce qu’elle pouvait en voir dans le rétroviseur central.
Le moteur vrombit. Le tout-terrain roula vers la sortie. Un bref arrêt le
long d’une guérite en bois pour le paiement du parking, quelques pièces à
un gardien en uniforme marron engalonné en échange d’un reçu, puis une
route goudronnée, jalonnée de nids de poule avec un terre-plein central.
Tout autour, une campagne détrempée passablement lugubre. De chaque
côté de la chaussée, une haie d’arbres déplumés par l’hiver naissant.
Silence profond entre les quatre passagers. Afin de tester sa situation,
avec le plus de naturel possible, elle tira son portable de la poche… immédiatement confisqué par son voisin au profit du chef de groupe. Elle
regarda l’appareil passer de main en main, un sourcil levé : gestes et regards
étaient remplis d’animosité.
Elle soupira puis se concentra sur le paysage tandis que le tatoué sortait
une tablette tactile d’une valisette à ses pieds, se retournait complètement,
genoux sur le siège, et prenait quelques clichés de leur passagère avant de
reprendre sa place, satisfait.
La campagne avait laissé la place à une avenue large coincée entre des
barres d’immeubles à l’architecture très soviétique : le reliquat d’un passé
pas si lointain. Peu de véhicules et aucun passant sur les trottoirs luisants
de pluie. Morne, déprimant… Du coup, son esprit zappa vers Ceyreste,
les cigales en été, le soleil, les odeurs de garrigue… Reposant.
Une zone industrielle et un hangar désaffecté devant lequel le conducteur
freina brutalement. La suite n’allait sûrement pas être très drôle. Les
trois hommes descendirent. Elle poussa la porte avec une décontraction
qu’elle ne ressentait pas, et les suivit sans contrainte physique, mais sous
étroite surveillance. Impossible de faire un pas de côté sans être reprise
par le collet.
À l’intérieur, le sol était en terre battue, tassée, noire d’huiles moteur
dont le fumet rance fuitait désagréablement jusqu’aux narines. Des caisses
entassées le long du mur, des planches, des morceaux de machines, des
papiers, des cartons crevés et une pièce en forme de cube vitré, éclairée,
meublée d’un bureau en fer. Cet espace clos était occupé par une silhouette
de dos à la carrure massive, tête chevelue rousse, longue et frisée,
penchée sur l’écran d’un portable ; face au militaire, quelques chaises, et
une rangée de classeurs métalliques verts chargés de liasses de dossiers et de
papiers jaunis. Et puis, au milieu de l’espace de stockage, à une vingtaine de mètres, ...