Le capital des mots met à l'honneur Patrick Beaucamps
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2 Juillet 2014
Publié par ERIC DUBOIS
LE CAPITAL DES MOTS - PATRICK BEAUCAMPS
http://www.le-capital-des-mots.fr/2014/07/le-capital-des-mots-patrick-beaucamps.html
Lieu-dit
Nous habitions un cul-de-sac,
au fin fond d’un lieu-dit.
Cachée de tout, notre maison
était bordée de vastes champs
que chaque saison transformait
en d’extraordinaires terrains de jeux.
Il m’arrivait d’arpenter les congères et les plaques
de verglas tel un explorateur,
ou de disperser mes peines dans les sombres sillons
creusés par les pluies.
Les nuits d’été, le cortège des moissonneuses
me tenait éveillé. De ma mansarde je pouvais voir
les phares qui balayaient l’horizon et les saisonniers
qui s’affairaient en chantant autour des remorques.
Plus de trente années ont passé depuis.
Assis à mon bureau, je réalise soudain
que plus jamais je ne verrai ce spectacle
ni ne traînerai dans ces champs. C’est à peine
si j’arrive à la revoir, ma mère, regardant
en plissant des yeux par la fenêtre ouverte
de la cuisine, me criant : À table.
***
Kain
Les samedis, la parenthèse s’ouvrait
dans la berline de mon grand-père.
Balluchon dans le coffre,
je quittais ma campagne
le temps d’un week-end.
Secoué par ses routes pavées, mon grand-père
annonçait chaque semaine : « Nous voilà à Kain »
Ses armoires pleines de biscuits.
et ses hot-dogs du souper.
Son jardin aux mille cachettes
et ses longues balades à vélo.
Ses bains du dimanche matin
et sa formidable télé couleur.
Aujourd’hui, c’est moi qui conduis
et me retrouve à nouveau secoué
par cette route cabossée.
Au bout, il y a le cimetière où repose
l’écho de mes souvenirs.
Tout disparaît,
sauf Kain.
***
Sur des échasses
Patiemment, nous attendons nos plats.
À la table d’à côté, deux hommes
ont une discussion animée
à propos d’un projet immobilier.
Une femme seule, à l’autre bout de la salle,
prend des nouvelles d’une amie par téléphone.
Je regarde le serveur plier des serviettes
lorsque mes yeux glissent vers la digue.
Un homme passe sur des échasses
en redingote et haut de forme.
Il accoste les passants d’un salut théâtral
et leur tend des prospectus publicitaires.
Pendant un instant, il n’y a plus aucun
projet immobilier. On ne sait pas
ce que devient l’amie. Les serviettes
sont oubliées. Tout le monde
regarde cet homme qui fait son travail.
Vous imaginez un peu ?
Gagner sa vie comme ça !
Faire son chemin,
sur des échasses.
PATRICK BEAUCAMPS
Né en 1976 à Tournai (Belgique), Patrick Beaucamps a exercé plusieurs métiers : ouvrier imprimeur, magasinier, employé de vidéoclub, cheminot, bibliothécaire,…
Poète et nouvelliste, son travail est publié aux éditions Chloé des Lys.
* Le Bruit du Silence, Poèmes (2003)
* 200 ASA, Nouvelles (2005)
* Tant d’eau sous le pont, Poèmes (2013)
* Brasero, Nouvelles (2014)