"Toujours aussi jolie", dernier épisode du feuilleton signé Carine-Laure Desguin

Publié le par christine brunet /aloys

Episode IV : Rue Léon Bernus, numéro 68

Qui ? Qui a glissé ce courrier dans sa boîte aux lettres ? En quelques secondes, tout se confond dans sa tête, des images se chevauchent, le visage de l’inconnu, fantôme de Marcus, et ce carton sur lequel elle lit : Toujours aussi jolie. C’est vrai que cette ville n’est pas une mégapole, que Virginia traîne dans les rues plusieurs heures par jour et que les rumeurs roulent aussi vite que des billes sur un trottoir. Virginia relève la tête et observe tout ce qui bouge autour d’elle, comme si l’auteur de la missive (elle n’imagine pas un seul instant que ce soit une femme) attendait béatement, accoudé au bar, un verre de bière devant la tronche. Ensuite, son regard dévie du côté de la fenêtre. Dans la rue de Marcinelle, à cette heure, ça défile. Chacun déboule, un sandwich entre les dents. Personne ne tourne la tête vers la grande fenêtre de La quille…

— Hello, Virginia !

Virginia sursaute, elle qui croyait tout spéculer autour d’elle se laisse surprendre par l’arrivée de Piet.

— Oh Piet, j’étais perdue dans mes pensées !

— Virginia, dit-il tout en se penchant pour l’embrasser, tu es toujours aussi jolie…

Un silence, un blanc, un malaise.

Virginia ressasse les trois mots, les mêmes que ceux qu’elle vient de lire sur le carton. Elle décide de ne pas tergiverser et de trancher. À la minute.

— C’est donc toi, sacré coquin !

— Moi ? Moi ? dit Piet, l’air étonné, tout en s’asseyant en face de Virginia et en pointant son index en plein milieu de sa poitrine, sur un des grands boutons noirs de son manteau de cuir. Qu’est-ce qu’il a encore fait, ce drôle de Piet ? rétorque-t-il en ricanant.

— Arrête, c’est toi ! Tu m’as vue déambuler dans les rues il y a deux ou trois jours et tu m’as suivie. Tu as ensuite glissé ce carton dans ma boîte aux lettres…Mais si c’est toi, ce n’est pas grave…De toute façon, ce n’est pas grave, même si ce n’est pas toi…Disons que tout simplement, je voudrais connaître l’auteur de ces trois mots !

À ce moment, elle tend à Piet le carton aux lettres couleur rose bonbon.

Piet prend un air sérieux et ne voit même pas le garçon qui s’approche de la table.

— Bonjour, que prenez-vous ?

— Oh, excuse-moi, un déca, merci !

Piet retourne le carton, rien au verso, et pas de signature.

— Rien de mal à cela…Quelqu’un pense que depuis ces dernières années, tu n’as pas changé, tu es toujours aussi jolie, voilà tout ! Tu ne dois pas mener une enquête policière pour ces trois mots ! Qui disent la vérité…Tu es toujours aussi jolie ! Une jolie frimousse !

— Oui, tu as raison, je deviens parano…Mais il n’y a pas que ça !

— Oh la, du calme ! Tu débarques dans la ville après plusieurs années d’exil…Et il t’arrive déjà des trucs…C’est vrai que…

Et de grandes vagues de tristesse traversent le bleu de son regard. Piet a passé de longues soirées avec Marcus et Virginia, et il a aussi partagé leurs projets, toutes ces heures de folie…

— Je devine à qui tu penses…Moi aussi, je ne cesse de penser à Marcus ! Piet, Marcus est-il mort ?

— Tu rigoles ou quoi ?

— Non, je ne rigole pas, justement…

En deux secondes, Virginia flanque sous le nez cette fameuse photo, celle où le visage de Marcus est presque visible. Piet ne lâche pas l’appareil. Il pâlit et reste muet.

— Alors, troublant, pas vrai ?

— Ça ne veut rien dire, ce n’est qu’un visage aux traits vraiment très flous, parmi la foule...

— Je suis folle, c’est ça ?

— Non, je n’ai pas dit ça…Ecoute, Virginia…Tu veux venir chez moi, ce soir ? On sera plus à l’aise…

— Si tu veux, ce sera mieux qu’ici, oui. Tu habites toujours cette rue coupe-gorge, derrière le boulevard Tirou ?

— Non ! J’habite rue Léon Bernus, numéro 68 !

— Ok, je vois très bien…

A ces mots, Virginia sent son cœur chavirer. Depuis son retour au pays, rien ne lui sera épargné.

Ce soir-là, Virginia se rend au 68, rue Léon Bernus. Une ancienne maison de maître, juste à côté des maisons que Marcus et elle désiraient acheter afin de les aménager en salles d’expositions. La porte est entr’ouverte…

— Piet ?

— Piet n’est pas encore arrivé, mais rentre, première porte à gauche…

Virginia hésite, son cœur bat la chamade, cette voix…Non ! Ce n’est pas possible ! Virginia se sent paralysée, elle pousse doucement la porte…

— Oh, Marcus, j’en étais certaine !

Après de longues, de très longues embrassades, vient le temps des explications…

— Marcus, ta tombe, pourquoi ces mystères, pourquoi, pourquoi ne m’avoir rien dit ! Comment cela se peut-il ? J’ai tellement souffert !

Marcus s’assoit sur le canapé et entraîne sa belle…

— Juste avant de te rejoindre, j’ai plongé dans la Sambre pour sauver un pauvre type, mais trop tard, il s’est noyé. Mon père s’est arrangé pour reconnaître le corps du type comme étant mon propre corps, afin que je disparaisse pour toujours…Cela l’arrangeait. Moi aussi… Je ne voulais pas que tu vives ta vie avec un con de ma trempe, tu méritais mieux. Mais tu vois, j’ai bossé dur, sous une autre identité… Piet m’a aidé ! On vient d’acheter cette baraque, ce sera une salle d’expos…La semaine dernière, je t’ai vue, tu sortais de ton immeuble. Voilà, tu sais tout.

Virginia reste silencieuse. Elle pose sa tête contre la poitrine de Marcus. Quelque chose vient cogner contre sa joue. De la poche de son mec à elle, elle sort un gros marqueur fluo. Couleur rose bonbon.

FIN

Carine-Laure Desguin

carinelauredesguin.over-blog.com

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P
Après quelques jours de vacances, je reviens pour lire ta belle histoire qui finit bien, je pensais qu'elle allait être attirée dans les filets d'un proxénète ... Ouf !!!
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P
J'imprime le tout pour pouvoir lire à mon aise...
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D
Tout est bien qui finit bien. Finalement, il n'y avait pas d'entourloupe. Autant pour moi...
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C
Merci les zamis! A bientôt!
R
Je m'en doutais un peu et tant mieux pour cette fin miel et bonbon rose. Par contre l'épisode sordide du père est une belle trouvaille digne d'un roman policier mais très plausible dans le contexte de cette histoire. Je rejoins l'avis de Nicole De Bodt concernant le monde bourges toujours prêts à relever la paille dans l'œil du voisin sans voir la poutre dans le sien.<br /> Une des raisons pour laquelle j'apprécie tant les récits de l'Evangile, Jésus et des textes de l'ancien testament, toujours d'actualité. <br /> Tout en savourant certaines colères celle de Moïse jetant les tables et celle de Jésus chassant les vendeurs du temple.....<br /> Bravo Carine.
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M
Et voilà, tout est bien qui finit bien ! Même si la forme de la nouvelle, par sa brièveté, rend l'explication finale un brin tirée par les cheveux, on a envie d'y croire vu le contraste entre le monde de Marcus et celui de ses parents. C'est rudement bien imaginé et mené tambour battant, bravo !
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E
Rhooooooo! Happy ending! Love is the plus fort! :) J'ai beaucoup aimé, bon suspens, histoire à fin heureuse, et on imagine un merveilleux avenir pour Marcus et Virginia!
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M
Une belle histoire qui finit bien et qui se passe dans une ville que j'aime. Bravo, Carine-Laure !
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C
Merci les amis!
N
Je suis aussi heureuse que Virginia. Mon rêve s'est réalisé. Que de belles années devant ces trois amis de jeunesse. Bravo Carine Laure une fin que j'espérais mais le coup du père de Marcus ça je n'y aurais jamais pensé. Quand on pense que ce n'est pas si utopique que cela dans ce monde de bourges. Franchement, bravo. Je suis sur un petit nuage, aussi légère que doit être Virginia dans les bras de son Marcus d'amour. Tu t'imagines un peu !! Mais oui, c'est toi qui l'a écrit ! Suis je bête !?
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J
Eh bé té, voilà Marcus est encore bien vivant. RAvec un projet qui réunit les trois amis, projet de leur jeunesse. Je te réitère tout ce que j'ai écrit en commantaire hier. Bravo et merci pour cette belle histoire, ce bijou de mini roman.
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