Triste parapluie, un texte d'Albert Niko
Triste parapluie
Parfois, pour la balade, il m’arrive de revenir sur les lieux de mon enfance, comme le Chemin de la Comtesse, rebaptisé depuis “ Chemin ENTRE les MURS ”. À l’image du temps passé la comtesse s’en est allée, et les murs ont gagné. Je ne sais pas combien de temps cela prenait au juste d’en faire le tour – l’après-midi, je dirais. Aujourd’hui, même en marchant le plus lentement du monde, il ne faut pas compter plus d’une demi-heure. Le talus surplombant l’allée à mi-parcours n’est plus cette montagne dominant le reste du monde. Et les chevaux du domaine voisin ont beau hennir, jamais je ne les vois courir. Si quelqu’un les monte, ce n’est que dans l’imagination d’un enfant disparu à ce jour.
Peu importe. Je fais mon tour et cela me dégourdit les jambes.
Au bout je retrouve le pavé, et les voitures. En remontant le vieux village, je sais que lui aussi sera au rendez-vous. Fidèle au poste, il garde l’entrée de la maison. En appui contre la porte, le parapluie me regarde. Je le sais parce que c’est quelque chose que l’on sent quand on passe devant une petite maison où il n’y a rien d’autre qu’un parapluie contre la porte d’entrée.
Il y a une école en face et la cour est pleine d’enfants qui courent dans tous les sens, c’en est une débauche d’énergie telle que je préfère me tourner vers la maison, et ce qui paraît être son unique occupant. Il n’y a pas d’habitant chien, pas d’habitant fleur, et la maison est tout à fait calme.
Pluie ou pas pluie, le parapluie se tient là et regarde vers l’école. J’essaie de me mettre à la place d’un parapluie. Comment un parapluie fait-il pour en finir ? Sa morphologie le lui interdit.
La pluie, le froid et l’école…
Sur le chemin, je pense toujours à mon ami parapluie. Le sort de ce parapluie me rend triste. Et puis je pense à ma vie, ma propre vie, et à tout un tas d’autres vies, et je vous assure qu’il n’y a pas de quoi rire. Au fond nous ne valons guère mieux, attendant comme ce parapluie, sur le pas de notre porte, que quelqu’un vienne à passer. Quelque chose ou quelqu’un.
Aujourd’hui, l’Ombre de l’Aigle Noir a dénombré 168 voitures, 18 vieillards, 37 enfants, pour un total de 97 personnes dont l’une, hésitante, a marqué un temps d’arrêt, avant de poursuivre sa route.
ALBERT NIKO
L'homme au grand chapeau