Jean-François Foulon présente son univers... Réflexions
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Puisque mon roman « Obscurité » vient d’être référencé et qu’il a maintenant une existence légale, il conviendrait peut-être de me présenter. Mais que dire sur soi qui pourrait intéresser le public ? Il n’y a dans mon existence rien de bien extraordinaire, aucun fait marquant qui aurait été repris dans la presse. On fait des études, on trouve un boulot, on se marie, on a des enfants. Nos vies sont minuscules et d’une banalité affligeante. Sauf qu’au fond de soi, on sent intuitivement qu’il existe une dichotomie entre ce que l’on est et ce que l’on fait quotidiennement, entre le moi profond et le monde dans lequel il nous faut bien survivre.
Certains, sans doute plus intelligents, ne veulent pas changer le monde, aussi cruel et inhumain soit-il. Non, ils s’adaptent aux circonstances et comme des caméléons ils évoluent en fonction des buts qu’ils veulent atteindre. Ces gens-là ne vont pas se battre pour la justice sociale ou une planète plus propre. Non, dans chaque situation nouvelle, ils essaient de retirer le maximum de profit personnel. Nous les retrouvons quelques années plus tard à la tête d’un Etat, président d’une multinationale, général en chef d’une armée, chef d’entreprise, directeur d’une agence bancaire, etc.
D’autres (et je fais partie de ceux-là) doivent garder en eux une partie d’enfance, car ils conservent une dose de naïveté qui fait qu’ils s’étonnent encore de tout. Le chant d’un oiseau sur une branche, une rivière qui bondit sur des rochers, un recueil de poésie qu’on lit le soir chez soi, au creux de l’hiver, tout cela les émeut. Mais s’ils sont sensibles à cette beauté, ils sont aussi plus fragiles et n’arrivent pas à accepter ces guerres que l’on fait partout au nom du dieu argent, ni cette logique économique des financiers qui, au nom de la concurrence et de la rentabilité, entraîne une partie non négligeable de la population dans la pauvreté. Pourtant ils ne peuvent rien faire pour changer le monde. Alors ils se réfugient dans l’écriture, pour inventer d’autres univers et pour dénoncer celui dans lequel ils doivent bien survivre malgré tout. En écrivant, ils deviennent des espèces de demi-dieux, capables de créer des histoires et des personnages à leur guise.
L’écriture, dès lors, se définit pour eux comme une nécessité existentielle, qui leur permet de dire qui ils sont. Devant leur écran ou un stylo à la main, ils cessent de jouer les rôles habituels que la société leur a attribués pour devenir pleinement eux-mêmes.
Maintenant, pour prendre mon cas personnel (puisque je suis quand même supposé me présenter ici), je dirai que j’ai écrit très jeune, mais que j’ai connu une longue période d’arrêt, de 25 à 35 ans, environ. Dans un premier temps, adolescent, j’écrivais plutôt pour clarifier ma pensée. C’est l’époque de la vie où on se construit et où on passe au crible de la critique tout ce qu’on nous a enseigné. En écrivant, mes idées devenaient plus claires et je trouvais des arguments que je n’aurais pas trouvés sans cela. Assez vite, je suis passé de ces écrits théoriques à de petites histoires qui illustraient finalement les réflexions dont je viens de parler. Il y avait aussi de la poésie, forcément. Il s’agissait de poèmes noirs, assez désespérés. « J’avais vingt ans. Je ne laisserai personne dire que c’est le plus bel âge de la vie » écrivait Paul Nizan dans Aden Arabie. En effet, c’est quand on est jeune adulte, je trouve, qu’on se pose les vraies questions existentielles. Après, on est dans la vie active, confronté aux difficultés qu’on essaie de vaincre ou de surmonter. Du coup, on réfléchit moins sur le sens de notre destinée.
Comment, après avoir tant écrit adolescent, expliquer la période de latence entre 25 et 35 ans ? Justement parce que j’entrais dans cette vie active et il me semblait qu’en écrivant, je restais en-deçà de cette vie, comme si je me complaisais dans une sorte d’enfance attardée. Je me « forçais » en quelque sorte à m’adapter aux nouveaux rôles que la société m’assignait. Plus tard, après la naissance de mes enfants, je suis revenu à l’écriture comme si je revenais à moi-même. C’était comme si j’avais accompli ce qu’il convenait d’accomplir (profession, mariage, maison, enfants, etc.) et que je pouvais enfin revenir à l’essentiel, c’est-à-dire à moi-même. Rien d’égocentrique dans mon propos et mon écriture n’est pas nombriliste du tout. Ce que je veux dire, c’est que je pouvais de nouveau imaginer d’autres mondes que celui dans lequel je vivais ou au contraire dénoncer ce dernier. Autrement dit, je pouvais de nouveau exprimer qui j’étais vraiment.
Car qui est-on finalement ? Sartre disait que l’existence précédait l’essence, ce qui revient à dire qu’on n’est que par les actes qu’on a posés. C’est vrai et ce n’est pas vrai. Les autres autour de moi, en effet, ne peuvent tenter de me définir que par ce qu’ils voient de moi (suis-je un bon époux, un fonctionnaire zélé, suis-je gentil et doux ou au contraire colérique et irascible, etc. ?). Mais ce que je suis vraiment, ils ne le savent pas. Mes collègues au bureau seraient bien étonnés s’ils apprenaient que j’écris et que je viens de publier un livre. A l’inverse, je pourrais avoir une âme de poète et n’avoir jamais écrit de poésie. Pourtant ce serait en moi mais personne n’en saurait rien. Il faut parfois des événements extraordinaires pour que ce qui était caché apparaisse subitement au grand jour. S’il n’y avait pas eu la guerre en 1940, on n’aurait jamais su qui était vraiment Jean Moulin et on n’aurait conservé de lui que le souvenir d’un préfet comme les autres.
Je donne tous ces exemples pour montrer que les gens qui nous entourent ne nous connaissent finalement pas très bien car ils ne nous jugent que sur les quelques actes qu’ils nous ont vus accomplir. Par contre, en écrivant, j’ai l’impression d’exprimer ce qu’il y a de plus fondamental en moi, sans tricher et sans tenir aucun rôle. L’écriture, c’est cela aussi. Etre vraiment soi-même et offrir aux autres notre vision du monde. Car bien entendu il faut des lecteurs et une écriture qui ne serait pas lue n’a pas beaucoup de sens (merci donc à Chloé des Lys). Quelque part on est nu quand on écrit car on offre au public ce qu’il y a de plus intime en nous. Heureusement tout cela est un peu caché derrière les histoires que l’on raconte. Car si notre sincérité éclate au grand jour, ce n’est pourtant pas de soi qu’on vient parler, mais de sujets qui peuvent intéresser les lecteurs. C’est là que commence la littérature. Si je parle de mon enfance, par exemple, cela n’a d’intérêt littéraire qu’à partir du moment où des lecteurs peuvent partir de mes mots pour se remémorer leur propre enfance. Mon village n’est pas le vôtre, mais à partir du moment où je le décris de manière à ce que vous puissiez projeter votre propre village derrière mes descriptions, j’aurai atteint mon but.
A ce propos, on pourrait réfléchir au rapport qui unit l’auteur, le texte et le lecteur. Existe-t-il une seule manière de comprendre ce qui est écrit ou bien existe-t-il autant d’interprétations que de lecteurs ? C’est un autre débat, nous en parlerons peut-être une autre fois, j’ai déjà abusé de votre patience.
Jean-François FOULON
Obscurité