Elle, une nouvelle en deux partie écrite à la façon de Marguerite Duras... signée Alexandra Coenraets

Publié le par christine brunet /aloys

Elle, une nouvelle en deux partie écrite à la façon de Marguerite Duras... signée Alexandra Coenraets

"Il y a quelques temps, je me suis moi aussi aventurée à écrire dans le style d'une grande écrivaine que j'admire et dont j'aime l'écriture: Marguerite Duras. Ecrire "à la manière de", voilà un exercice difficile. Je m'y adonne pour la première fois, aussi j'espère ne pas tomber dans la caricature. Si c'est le cas, je ferai mieux par la suite...Ou m'abstiendrai. "

Elle.

Ça se passe entre les deux caps. Le Blanc et le Gris-Nez. Dans le Pas-de-Calais. A quinze kilomètres de Boulogne-sur-Mer.

Côte sauvage et puissante. Côte d'opale, comme la pierre.

La mer.

Elle brille, la mer, d’une précieuse luminosité, l’eau scintille sous le soleil du soir. Elle est nordique, la côte, mais l’astre y déploie ses rayons, là comme ailleurs, par endroits et par moments. Il enrobe le décor d’une lumière fuyante, le modèle à sa guise de ses touches impressionnistes. Le caresse, le cajole, le couve aussi.

Elle arbore une ambiance de louve, la côte, parfois. Impossible à saisir. Et si on essaie de l’attraper, comme un jeu, on peut s’amuser un temps, mais non, on ne réussira pas à en capter l’essence.

Une femme.

Solaire. Seule. Son ombre rayonne dans le soleil du soir. Elle foule de ses pieds le sable humide, dont les grains s’infiltrent entre les orteils, elle sent qu’ils s’y agglutinent même, tandis que le rythme des vagues lui berce les oreilles. Elle marche lentement, le pas langoureux, les sandales dans une main, la cigarette dans l’autre.

Elle fume.

Savoure chaque bouffée, inspire, expire. Elle dévore les volutes de ses yeux verts. C’est bon.

Elle est venue pour écrire. C’est le troisième, son troisième roman. L’inspiration tarde à venir, alors elle est partie la chercher.

Au bord de la mer, il lui semble que c’est l’idéal. Et puis, elle connaît le coin, elle a ses habitudes.

Elle aime se ressourcer au bord de la mer. Sait l’atmosphère propice à l’écriture.

Elle l’a toujours su. Dès l’enfance, elle savait que c’était ça, le chemin. Le sien. Ecrire. Elle savait qu’il y avait des lieux où la plume redevenait flamme, jaillissait de ses cendres, soudain prise d’effervescence. Sortait de latence. « Elle dit aussi que s'il n'y avait ni la mer ni l'amour personne n'écrirait des livres ». Ni l’amour ou le manque d’amour. Le manque d’amour, fabuleux déclencheur de mots quand l'auteur parvient à l’actionner, matière brute à travailler, triturer sur papier, ou qui s'empoigne à bras-le-corps pour tapisser l’écran d’une suite de notes noires et blanches. Harmonieuses. Ou dissonantes.

Ecrire, c’est une musique.

Elle, elle sait où elle va. Personne ne sait d’où elle vient. A l’hôtel où elle est descendue, ils n’ont posé aucune question. Mystérieuse, insaisissable silhouette, comme les éclats de cette lumière locale, elle se fond dans le paysage, en épouse les formes. Ou bien est-ce l’inverse.

Louve.

Dès l’enfance, elle avait eu cette tristesse au fond des yeux. On pouvait passer des heures à scruter le gouffre qu’offraient ses regards, en explorer les mille nuances, se perdre dans l’abîme béant de ses pupilles. S’y noyer. Ressortir enduit de cette mélancolie qu’elle transmettait à son insu. Ou volontairement, peut-être, on ne sait pas. Peut-être était-ce voulu, puisqu’aucun mot ne sortait de sa bouche ; aucun, d’ailleurs, n’aurait été adéquat pour traduire la force de l’émotion que son œil dégageait, parfois humide, parfois pas. L’observateur chanceux, savamment envoûté, pouvait y surprendre de temps à autre une larme perler dans un coin, au seuil des paupières. Elle se l’autorisait, se dévoilait par d’infimes mouvements du corps.

C’est le mois de septembre.

Cette enfant au cœur fermé devenue femme se promène, l’allure nonchalante ; contours féminins, âme incertaine, un corps sensuel que les hommes désirent. Une femme sans âge dont les hommes désiraient depuis longtemps percer le mystère qu’en elle ils décelaient. Au premier regard.

Elle s’est toujours préservée.

L’œil triste s’est adjoint d’un caractère vif et perçant, l’iris s’est empreint d'une profonde détermination. Un soupçon de colère y met son grain de sel pour donner du piment.

Le sel, justement, oui, le sel. Le sel de la vie, elle le trouve près de la mer, où son odeur est piquante, inévitable, brutale et vivifiante. Apre aussi. D’une âpreté sans égal.

C’est ça qu’elle doit faire, elle le sait depuis toujours. Mettre le sel de sa vie par écrit. Remplir une salière et saupoudrer la feuille blanche de l’aube à l’aube s’il le faut. Le sel donne soif, de cette soif d’apprendre encore, d’apprendre des autres et de soi. Trouver qui on est. L'assumer. Se dégager de ce qu’on a été. L'assumer.

Elle a des amants. Ils viennent l’un après l’autre le soir, à l’hôtel, dans sa chambre, furtifs ; le son de leurs allées et venues parvient aux oreilles du personnel un bref instant. On les entend gravir l’escalier à pas feutrés, fébrilement, en toute discrétion; ou d’un pas lourd, lourd d’appréhension peut-être, de désir sûrement. Ils gravissent les marches vers elle.

Ce sont des nuits sans fin, sans commencement, aucun des deux ne se rappelle vraiment l’entre-deux. Entre le début et la fin, que s’est-il passé ? Souffles courts, emmêlés, peaux effleurées, caressées, sa peau à elle, sa peau à lui, à eux, contact peau-à-peau, leurs peaux douces et rugueuses se frôlent, se cherchent, se rencontrent, se rejoignent, partition pour piano à quatre mains, deux mains d’homme, deux mains de femme, elles tâtent, palpent et pétrissent, jouent leurs notes similaires, complémentaires, innovantes, singulières. Se jouent d'elles-mêmes, se fuient et se perdent.

L’amour, c’est une musique.

Halètements, cris, silences.

Pauses.

Les doigts s’entrecroisent pour mieux cueillir l’instant, tandis que les corps transpirent, collent et se collent, le plaisir devient intense. Autour d’eux, il n’y a plus que le plaisir, une aura de plaisir. Ils s’y dissolvent et se laissent porter.

Ils oublient.

Au matin, il n’y a rien.

Un vide sépare deux être chancelants qui tentent de se reconstituer. Il faut rassembler les morceaux. A tâtons.

Alexandra Coenraets

Auteure/médiatrice

www.quandilnaitdusens.wordpress.com
www.mediation-plurie
lle.be

Publié dans Nouvelle

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A
Merci...
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M
Je rejoins Jean-Louis. C'est magnifique. Je reconnais cette faculté qui t'est propre, de décrire ce qui ne se voit pas, l'essentiel, et le confondre avec l'environnement, d'une façon très particulière, qui n'a rien de classique. Qu'importe à la façon de Marguerite Duras ! Alexandra Coenraets a trouvé son propre modèle. Excellent Alexandra ! J'attends la suite !
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J
Tout simplement magnifique , Alexandra ! Bravo !
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