Haut les mots, une nouvelle écrite par CARINE-LAURE DESGUIN
Haut les mots !
— Ben ouais qu’t’es à Mons ! Tu vois bien que juste derrière toi, c’est la gare de Mons ! répond le zigoto en rivant son regard admiratif vers le fabuleux chantier.
— On est bien à Mons 2016 ? rétorque la p’tite vieille à l’allure de bimbo déjantée.
— Ben zut alors, celle-là, on ne me l’avait pas encore sifflée, tu parles d’une colle !
— Bref, continue la vioque, est-ce que des vagues de quidams déferlent encore dans les rues comme l’an dernier? Avec les plans de la ville entre leurs menottes ? Est-ce qu’à chaque coin d’rue, y’a des trucs étranges qu’on appelle des œuvres contemporaines ?
— Ah ouais, des trucs du genre un tapis d’allumettes suspendu entre les corniches de deux rangées de maisons ou des entonnoirs en papier mâché qui sortent des fenêtres…
— Ok ! Ici, c’est Mons 2016 !
— Ouais, ici, c’est Mons 2016, annone le zygoto. A propos, ta tronche me dit quelque chose ! Scotchée sur une affiche du Plaza Art ?
— Pas encore mon gars…Je vais pas te faire languir plus longtemps…Je suis le clone de Deneuve façon fashion lifting. Trêve de plaisanterie, tu t’emmerdes pas, toi ?
— Ben….
— Tu m’assisterais pas pendant une paire d’heures ?
— Ben…
— On commence la journée par se rincer la glotte et ensuite, on bosse !
A l’hôtel Le terminus, ça discute…
— Fastoche pour nous deux ! Toi, t’as rien à foutre et moi, je suis comme qui dirait en mission.
— Ouais, t’es journaliste ou quelque chose comme ça ?
— Quelque chose comme ça…
— Ouais…Dans ta mallette longue comme un balai, y’a bien des appareils photos et des caméras?
— Tu m’plais mon p’tit gars, t’as les idées qui gambergent plus vite que l’ombre de saint Georges. A propos, tu la connais comme ta poche, cet’ ville ? Et ne me regarde pas avec ces yeux de merlans frits, je le sais que je suis irrésistible malgré mon âge. Je disais donc, Mons 2016 n’aurait donc plus de secret pour toi. Et puisque tu fous rien, t’as bien promené tes guibolles dans les endroits…phares ?
— Phares ?
— J’voulais dire des endroits visités par les ministres, les rois et les reines et tutti quanti…Les endroits avec des files de cent mètres de chairs humaines qui attendent un ticket …Les endroits phares, quoi !
— Ouais, je vois ! C’est comment déjà ton p’tit nom ? Moi c’est Boule. Et toi ?
— Moi c’est Croq’Casquette. Casquette à cause de la casquette qui décolle jamais de la caboche et Croq’ à cause de tous ces amants qui se sont flingués raides morts pour ma belle gueule. Les gonzesses qui fument le cigare enroulé dans d’l’herbe, c’est plutôt rare…Et la minijupe qui cache pas les varices, c’est d’un sublime…J’suis c’qu’on appelle une cougar. Bref, on disait donc qu’ici, à Mons 2016, y’a plein de trucs et de machins qui tournicotent dans la ville.
— T’avais pas parlé d’une mission ? crache Boule en fixant son regard béat vers le sac en forme de raquette de tennis ? T’es quand même pas là pour flinguer un mec ?
— Ben non ! En voilà une idée ! Est-ce que j’ai une gueule à flinguer les inutiles, moi ? Non mais ! Ceci dit, pour cette fameuse mission, je recherche un truc particulier…
— Un truc particulier ?
— Ouais, tu vois, j’voudrais faire un scoop et puis un buz !
— Et alors ?
— Et alors ? Mon commanditaire me suggère de…
— Ben tu vois ! Tu es ici pour flinguer!
— Tu rigoles ou quoi ? Je cherche un mec qui crèche sur les hauteurs. Et chut, je peux pas en dire plus pour le moment ! Alors, creuse dans tes neurones !
— Un mec sur les hauteurs ? Y’a bien l’expo Van Gogh, dans ce musée…Il paraît que ça vole haut.
— Tais-toi, p’tit con, pour en dire des pareilles …Et puis, Van Gogh, il est déjà mort !
— J’sais pas…Y’a le beffroi. Paraît que quatre-vingt-sept mètres, c’est haut. Y’a bien un gars là-haut qui se suspend aux cloches. Pour qu’elles sonnent…
— Ouais, mais zappe, c’est pas ça…
— T’as des indices ?
— Je te connais à peine, je peux pas te faire confiance, non mais ! Bon, juste parce que je suis charitable….Le gars qu’est haut perché, il ….écrit, dit-elle d’une voix hésitante.
— Il écrit ?
— Ben ouais, il écrit ! répète Croq’Casquette tout en mimant des lettres avec ses mains…Ecrire, tu vois ce qu’c’est ?
— Un gars qui écrit ?
— Ouais, c’est Mons capitale de la culture ici ou quoi ? Ecrire, tu saisis l’affaire ? Lève tes fesses, on va zigzaguer parce qu’ici, depuis l’temps qu’on attend deux bières, y’en a marre …
— Tu veux que j’porte le sac ?
— Ne touche pas à ce sac, morveux ! Alors, ça vient oui ? Un gars haut perché et qui écrit ?
— C’est une idée fixe chez toi !
— Je te l’ai dit, je suis ici en mission et je ne repartirai qu’une fois cette mission accomplie, lance-t-elle en accélérant le pas.
— Ok, y’a bien la Guinguette littéraire.
— Bien! A quelle hauteur ?
— Rue de Nimy. Juste après la Grand place.
— Au-dessus de la Grand place ?
— Non…
— Si c’est pas en altitude, basta!
— Alors je ne vois que la grue, là…
— Cette grue ? Cette grue plantée en plein milieu de la Grand Place ? Là ?
— Ouais, juste en face du Singe du Grand Garde. Tout en haut, y’a un mec, un écrivain paumé. Il paraît qu’il veut des projecteurs braqués sur lui…
— C’est lui !
Croq’Casquette mène la danse et entraîne Boule dans le Jardin du Mayeur. Quelques minutes plus tard, du balcon réservé aux VIP lors de la fête du Doudou, Croq’Casquette arme le fusil qu’elle cachait dans son sac et d’un seul coup, pan ! elle tue le scribouilleur-mégalo-de-la-grue.
Quelques heures plus tard, au commissariat…
— Merci à vous de relâcher Boule, c’est pas d’sa faute. Z’êtes sympa, m’sieur l’commissaire….Puisque j’vous l’dis, m’sieur l’commissaire... L’écrivaillon, c’est Rik-Manu Schmoll ! Il a commandité lui-même son meurtre, il voulait devenir célèbre ! Kidnapper une grue et écrire son roman sur les manettes de l’engin, c’était pas suffisant, on le confondait avec une œuvre contemporaine, comme on dit ici. Alors, il a fait appel à moi, Croq’Casquette. Et pan !
Un feignasse de première, quand même. Il pouvait faire le boulot tout seul. Quand on veut la célébrité, faut la mériter ! Pas vrai, m’sieur l’commissaire ?