LE YUCCA, un texte signé Philippe Couillaud
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LE YUCCA
La lumière se pose sur le yucca. Son ombre défigure le mur blanc. D'ailleurs, le mur blanc n'est pas blanc, mais sale. Exagérée parce que démesurée, l'image projetée du yucca surplombe deux corps allongés sur des supports improbables, peut-être d'anciennes tables, sait-on jamais avec le jeu des translations.
La nudité des corps, outre l'identité de genre, révèle la présence incongrue de cette plante aux rosettes de feuilles dures, élancées comme des épées. Entravé et lié à ce socle qui le porte de toute son indifférence, chaque corps déploie son existence. Sont-ils vraiment nus? Leurs peaux marbrées de brûlures exsudent des gouttes d'angoisse poisseuse. A la tige molle d'entre les cuisses de l'homme, se figent les pointes acérées d'une pince métallique reliée à un fil électrique.
La femme geint. Ses grandes lèvres boursouflées tremblent au rythme des feuilles du yucca qu'agitent les pales d'un ventilateur. Le bourdonnement du brassage d'air couvre les souffles hachés de l'homme et de la femme. Le sang séché, les vomissures collées et la sueur caillée voilent leurs peaux d'oripeaux nauséabonds. Les corps ne trouvent pas âme à qui se rendre. Les esprits liés à leurs enveloppes de chair se demandent comment échapper à ces carcasses corporelles que la torture défigure.
Le rêve n'accède plus à l'évasion du monde sensible. Des bruits sourds résonnent. Les godillots reviennent à la charge. Les costauds baveux reprennent le travail. Indifférenciés par le port des uniformes, ils referment la porte sur l'épouvante et se mettent face à la curiosité de la terreur. Les feuilles du yucca s'immobilisent d'elles-mêmes. Le projecteur désormais dirigé vers l'homme et la femme précipite la plante dans l'absence. Si elle avait pu parler, n'aurait-elle pas dit: la vie ne mène nulle part, mais je suis le mouvement.