Philippe De Riemaecker nous propose de courts extraits de son roman, "Tant de silences"
Extraits :
Cette oasis de prières est, comme nous l’avons déjà écrit, isolée dans une immensité sur laquelle, de loin en loin, un tracteur se matérialise pour y blesser la terre. Les oiseaux sont nombreux et peu farouches puisque toujours les bienvenus. Quelquefois, en plein cœur de l’hiver, quand la neige prend la relève et que le gel fait sa colère, le regard peut être surpris par le déplacement de quelque chevreuil qui prend la ligne d’horizon comme un chemin joliment coloré par l’embrasement d’un soleil assoupi. C’est cela que j’appelle La Ramée ; ce ne sont pas les écuries, ce ne sont pas les granges gigantesques, ce ne sont pas non plus les bâtiments anciens ni même le couvent, et encore moins ce qui l’entoure, non, ce n’est rien de ces détails qui, pris chacun séparément, ne représentent que peu de chose. La Ramée, c’est tout cela réuni, c’est un ensemble et c’est d’une incommensurable beauté.
*-*
Pourtant, malgré notre désir de fuir, inévitablement notre destination se matérialise. Une profonde respiration, un regard échangé, nous plongeons dans le froid de la nuit pour franchir les quelques mètres qui nous séparent de l’adieu. J’ignorais que « Le Père » avait déjà fermé les yeux.
Les portes sont verrouillées. Ici, la nuit on n’entre pas, il faut montrer patte blanche, sécurité oblige. Alors on sonne, et une femme surgit comme si nous étions attendus.
Elle ne dit pas bonjour, elle ne dit pas bonsoir… mais les mots qu’elle prononce nous figent le sang.
- Mes sincères condoléances.
Pour être honnête, j’ai du mal à comprendre. Je nie l’évidence, je méprise ceux qui enterrent déjà alors que la vie, certainement, est faite d’éternité.
Je regarde ma sœur, l’interroge du regard… Elle se rend compte que je ne savais pas.
*-*
Le silence est assourdissant. Le paysage l’est tout autant. Un village, ou plutôt quelques maisons perchées au sommet d’une colline et qui semblent dominer tout ce qui peut approcher. De loin, cela semblait joli, ce devait l’être certainement lorsque les doigts des êtres donnaient encore du temps et du travail à l’entretien des bâtiments. Mais quand le berger finit par s’arrêter, Shannaz et Jahangir ne découvrirent que quelques ruines et des relents de cendre froide. Les murs blanchis à la chaux laissent percevoir d'obscènes cicatrices de suie cependant, de l’extérieur, il faut s’en approcher pour qu'elles se découvrent à la vue. Quelle tragédie a pu se jouer dans ce coin de ciel bleu ? Personne pour les accueillir, pas un bruit, pas une respiration, pas un claquement de volet. Rien, absolument rien qui laisse deviner la présence de l’humain. Même les chèvres, par respect peut-être, ont arrêté leurs bêlements. Elles hésitent à avancer, mais le font tout de même, poussées par la gamine et l’habitude contre laquelle on ne peut rien. Le bruit de la nature est ce qui existe de plus beau. Les pépiements d’oiseaux donnent du baume au cœur, mais parfois ils vous abîment les oreilles parce que le silence devrait être présent. C’est ce que le couple pense, c’est ce à quoi il aspire, c’est ce qu’il perçoit en regardant l’enfant et les ruines que la fillette semble ignorer.
Philippe De Riemaecker