Edmée de Xhavée nous propose un extrait de "Lovebirds"

Publié le par christine brunet /aloys

Edmée de Xhavée nous propose un extrait de "Lovebirds"

Edmée De Xhavée, extrait de Lovebirds, « Carte numéro 13 – La mort »


Pendant la semaine, Dominique décide d’aller avec David dans la maison de Laure pour y trier ce qui sera à garder et à jeter. Laure ne s’est jamais mariée et la maison est déserte, la voisine ayant repris son jeune chien dès le lendemain de l’accident, car Dominique avait tout de suite suggéré de le mettre à la Croix Bleue. David a arrêté ses études l’année dernière, proclamant qu’il en avait marre d’étudier et qu’il allait travailler. Il avait vendu des disques, puis des bicyclettes. Et en avait eu marre aussi. Depuis, Dominique et Lambert ne savaient pas trop ce qu’il faisait, et espéraient ne pas avoir à le découvrir. Il avait de l’argent, encore que pas assez pour se passer de leur aide. Il a en tout cas le temps d’aider sa mère à mettre de l’ordre chez tante Laure…

Dominique s’est tout de suite attaquée à l’intérieur des portes du placard de la cuisine. Laure y a punaisé toutes les cartes postales qu’elle recevait. Agacée Dominique arrache le tout et l’enfonce dans un sac poubelle de plastique noir. « Hé, c’est ma carte de Corse, elle l’a gardée ! » proteste David sur la défensive. « Mais enfin, que veux-tu faire de ces crasses-là ? C’est bon pour la poubelle ! Allez, on n’a pas le temps, il faudra vendre cette bicoque au plus vite ! » Et elle va de pièce en pièce, continuant son oeuvre d’extermination, remplissant le sac de tous les petits objets chéris et sans valeur que sa sœur gardait : photos encadrées de ses animaux favoris, bonbonnières de mariages ou communions, paquets de lettres dont le papier craque de sécheresse, vieilles photos, petites boîtes hétéroclites. Elle a apporté du matériel d’emballage et des caisses en carton qu’elle emplit de ce qu’elle sélectionne avec un œil de commissaire-priseur. Le coffret aux bijoux, l’argenterie, des coupes empire à bord doré, un service empire à punch en verre opaque ciselé d’or et décoré d’une frise de fleurettes blanches et bleues, des verres à vin d’Alsace anciens… Elle s’active comme une fourmi. Le regard surpris de David lui fait réaliser que malgré elle, elle s’est même mise à chantonner ! « La vie continue, Davidou, on ne peut pas pleurer tout le temps quand même ! » s’excuse-t-elle. « Mais tu n’as pas pleuré du tout, toi ! » constate-t-il, irrité.

Il a ouvert le petit scriban de Laure, plus par curiosité que par envie de trier. Cette hâte à faire le nettoyage par le vide l’atteint comme une sorte de viol de la vie de sa tante. Le poids de sa responsabilité dans sa mort se traduit par un désir de protéger ce qu’elle était, comme un gardien de temple. En lui résonne sans cesse ce « David ? » surpris qui avait précédé le coup de feu et cette étrange scène de son corps s’affalant sans résister et presque sans autre bruit que celui du sac se vidant sur le trottoir. Il n’a pas encore pu trouver qui il est devenu après ce crime, et sait qu’il ne pourra jamais en parler à personne. Le père d’Athanas, son complice, a renvoyé son fils sur son île en Grèce, avec ordre de s’y marier et d’y rester. Et il a brûlé la collection de timbres, que le pharmacien avait montrée à David quand il était encore petit et croyait s’y intéresser. Les timbres triangulaires de la république de San Marino l’avaient émerveillé, mais il y en avait d’autres qui, imprimés dans le mauvais sens, avait dit le pharmacien avec douceur, valaient très cher. Assis sur le tabouret à pieds de lion de sa tante, il regarde le contenu du scriban ouvert devant lui : un vieux canif des tanneries Houben marqué d’un chêne ; une toute petite photo d’elle et lui enfant, dans un cadre ovale ; un bloc de papier à lettres ; deux petits poissons de porcelaine chinoise qu’il lui a offerts il y a deux ans ; une boîte de bois décorée de motifs orientaux contenant une gomme, des attaches trombones, un rouleau de papier collant.

Et une carte du Tarot. La Mort. Sur la tête de mort, elle a collé la sienne à lui, récupérée d’une photo du dernier Nouvel-An. Elle lui avait encore raconté une de ses histoires non censurées comme elle aimait le faire et il y rit aux éclats.

Edmée de Xhavée

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P
Un livre lu et apprécié. Une écriture que j'apprécie beaucoup et je ne suis pas le seul ! <br /> Bonne semaine à tous.
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C
L'intimité et le mystère de la vie d'autrui dévoilé par le biais de tous ces objets du quotidien. Il y a du suspense, mêlé de curiosité, tous deux bien dosés.
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S
Un jeu de piste en plein tissu familial... Hum, hum... Intriguant !<br /> Et une bien jolie couverture, je trouve.
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J
Un voisin m'avait demandé récemment de l'aider à remplir un container dans la maison de son frère décédé, qu'il était en train de vider. Curieuse impression d'entrer ainsi dans la vie intime d'une personne inconnue. Tous ces bibelots, ces cartes postales, ces souvenirs de vacances (comme ici dans le livre d'Edmée), ont quelque chose de poignant. Toute une vie était résumée là et je m'étais dit que ceal ferait un beau sujet pour un roman. Je vois que le sujet est déjà traité :)))
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M
Edmée m'a émue et intriguée, comme d'habitude. Elle est très humaine, profonde, sans avoir l'air d'y toucher. Elle sait créer le suspens.
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P
J'ai aimé ce livre, on y retrouve le regard amusé et sans concessions de l'écrivain qui débusque tout les petits travers de la société et des amours qui n'en sont pas ...
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E
Merci Carine-Laure :). Oui tu vois moi aussi j'avais utilisé une des cartes du tarot. Mais la mort y est moins menaçante qu'il ne paraît...
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C
Ah, on vide la maison de la tantine et on découvre plein de trucs, même une lame du Tarot, la Mort, brrrr. La semaine commence bien chez Aloys, une belle écriture, juste et authentique, stylée et qui ondule entre émotivité et petit suspens.
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