"Elle avait toujours aimé la pluie", une nouvelle de Marcelle Pâques
Elle avait toujours aimé la pluie
Il y a sur cette terre
des gens qui s'entretuent ;
c'est pas gai, je sais.
Il y a aussi des gens qui s'entrevivent,
j'irai les rejoindre.
Prévert
Après avoir subi une mastectomie, Chloé H sortit de l'hôpital, hébétée, sonnée ...
Un peu comme il y a un an, après l'attentat qui avait coûté la vie à son amoureux.
Elle se retrouvait sur le trottoir, seule, fragile, comme ce petit piaf qui barbotait dans la flaque d'eau ...
Il y a un an, c'était une mare de sang ! Yann venait de mourir sans comprendre, étonné de ce qui lui arrivait ...
Vraiment une drôle d'époque, des attentats un peu partout !
Tout le monde répétait " pas d'amalgame, pas de haine".
Les pauvres étrangers, coupables d'avoir une tête d'étranger !
Mais nous sommes tous l'étranger de quelqu'un, avoir une tête d'étranger, cela ne veut rien dire !
Alors bravement, Chloé avait sauté les étapes du deuil ...
pas de colère, juste une rose déposée sur les lieux de l'attentat, des mots d'espoir et de paix sur sa page facebook.
En échange elle avait reçu des centaines de messages d'encouragement saluant sa dignité.
Et puis, - les autres - ils passèrent à autre chose, les vacances, les grèves, etc ... la vie continuait ...
Mais elle - la nuit - elle pleurait ( seule) dans le grand lit, se remémorant les rêves,
les fous-rires partagés.
Plus jamais sur elle le poids tendre du corps de Yann, le désir qui les emportait vers les étoiles.
C'était fini .
Mais pourquoi ? pourquoi ?
Un jour son sein droit, celui qui avait gardé en mémoire les dernières caresses, celui que Yann appelait " Jules" ...
Un jour il s'était rebellé !!! Une boule d'angoisse, de colère, s'était formée inexorablement.
Il avait fallu se rendre à l'évidence, accepter le verdict des docteurs,lui dire - Adieu -
Chloé, troublée leva les yeux vers le ciel où passait un vol d'oiseaux dans un battement d'ailes ...
- Pardon Mademoiselle ! Un gamin l'avait bousculée, elle lui sourit.
Une jolie frimousse, un regard curieux. Il ressemblait singulièrement à la photo de Yann enfant, une photo qu'elle conservait précieusement.
Pardon ! il insistait, décontenancé par cette demoiselle bouleversée qui le dévisageait des larmes plein les yeux.
Elle sourit, je te pardonne, ce n'est pas ta faute, un accident, un obstacle sur le chemin ...
Il était rassuré. Oui, Mademoiselle, bonne journée !
-Merci, à toi aussi.
Un taxi s'arrêta à son hauteur, elle s'y engouffra en soupirant d'aise.
Une légère pluie printannière chantait contre les vitres.
Elle avait toujours aimé la pluie ...