Une chronique de Marc Quaghebeur, un texte de Jean-François Foulon, pour ACTU-TV de Fernand Crommelynck

Publié le par christine brunet /aloys

 

Il peut sembler paradoxal de présenter Fernand Crommelynck comme un auteur belge. En effet, cet homme, certes d’ascendance belge, mais aussi bourguignonne et savoyarde par sa mère, est né à Paris en 1886 et est mort à Saint-Germain-en-Laye en 1970.

Voilà donc un Belge fort français et qui a passé la majeure partie de sa vie en France. C’est pourtant au théâtre du Parc de Bruxelles qu’il présenta sa première pièce en 1906 (« Nous n'irons plus aux bois. »), inspirée par l’œuvre de Maeterlinck. Il écrira ensuite d’autres œuvres, tant pour les scènes parisiennes que bruxelloises. Mais si on se penche sur le contenu de ce théâtre, on s’apercevra bien vite qu’il s’inspire de l’expressionnisme germanique et que l’esprit flamand n’est jamais loin. C’est là, manifestement, que se trouve sa singularité. Ainsi, dans « Le Sculpteur de masques », on retrouve la présence de masques et le thème de la libération de l'inconscient, dans un contexte de carnaval (qui permet à une petite cité de province de s’éveiller). 

On le voit, les thèmes traités le rapprochent de son compatriote Michel de Ghelderode (dont nous avons parlé dans un autre article) lequel s’est en effet inspiré de lui. A ce titre, on peut dire, comme Marc Quaghebeur le souligne dans la vidéo, que Crommelynck est le chaînon absolu entre deux périodes littéraires, celle du symbolisme de Maeterlinck et celle du monde étrange de Ghelderode. 

S’il écrit des pièces de théâtre, notre auteur est aussi un metteur en scène remarquable. Fils de comédien et comédien lui-même, il a même fondé sa propre troupe, le « Théâtre volant » (appelé ainsi car il donnait ses représentations dans différentes salles, selon la disponibilité de ces dernières). Durant la guerre 14-18, ce théâtre avait la particularité d’offrir des spectacles gratuits à un public désargenté.

A côté des pièces de théâtre, il écrira des scénarios pour des films français, britanniques ou allemands (par exemple « Le Roman de Werther », d’après le roman de Goethe) et deviendra journaliste. 

Il rencontre un succès certain en 1920, avec la présentation à Paris, au théâtre de l'Œuvre sous la direction de Lugné-Poe, du « Cocu magnifique », pièce qu’il adaptera lui-même pour le cinéma. Par son titre et le thème traité, cette pièce fait déjà penser à la farce ou au vaudeville (combien d’œuvres n’ont pas mis en scène des cocus ?), mais il y a chez Crommelynck une exagération qui fait basculer le comique traditionnel dans l'absurde. Derrière le rire se cache l'angoisse et du coup l’histoire racontée, de plaisante qu’elle était,devient tragique. Ainsi, pour se prouver qu'il est trompé, un mari jaloux cède sa femme à son meilleur ami, puis à tout le village, avant finalement de se glisser lui-même,déguisé, parmiles séducteurs.Le style est à la fois truculent et irréaliste. Notons que le philosophe Alain s’est montré très réservé sur cette pièce car il trouvait que Crommelynck avait commis une erreur. Et cette erreur, ce n’était ni le caractère invraisemblable des personnages ni leurs traits trop grossis, mais la fait d’avoir associé deux sentiments incompatibles : l'érotisme et le ridicule.

Ce jugement est sans doute trop sévère, car Crommelynck, qui connaissait toutes les ficelles du théâtre, pour avoir joué lui-même et réalisé des mises en scène, écrivait ses pièces en fonction de la scène. Je veux dire qu’au moment-même où il écrivait, il « voyait » déjà dans quel décor les répliques allaient être prononcées et à quel endroit les acteurs allaient se tenir. Il dira lui-même de ses pièces qu’elles sont « composées d’engrenages aussi étroitement dépendants que ceux d’une horloge. » Il dira aussi qu’un auteur « doit être à la fois son propre metteur en scène et ses acteurs. Quand il conçoit, quand il écrit sa pièce, quand il la développe, il doit savoir exactement la dose de texte qu’il faut pour un passage de droite à gauche ou de gauche à droite de la scène. Il doit savoir exactement où s’assoira l’acteur, où il le fera, il doit en subir les réactions. » (1)

Certains ont pu reprocher à Crommelynck l’usage qu’il fait des masques. Mais il faut comprendre que ces masques, loin de cacher la personnalité des personnages, la révèle. N’est-ce pas en période de carnaval que toutes les vérités cachées éclatent au grand jour ? Le tragi-comique de la pièce nous fait comprendre que chaque protagoniste est en état de crise et que c’est à ce moment-là qu’il révèle ce qu’il est vraiment.

Pour conclure, demandons-nous encore une fois si Crommelynck doit être considéré comme un écrivain belge ou français. Et comme son père était originaire de Flandre (entre Courtrai et Gand), doit-on le voir comme un Belge ou plutôt comme un Flamand (d’expression française) ? Dans l’interview reprise dans la vidéo, il dit clairement qu’écrivant en français, il a tout de suite été adopté avec bienveillance par la France. J’ai retrouvé une autre interview où il s’exprime ainsi : « Moi, Flamand ? Un critique est allé jusqu’à écrire, récemment que l’on sentait en effet que j’étais né « sous un ciel bas ». Voilà au moins un homme bien renseigné ! Tout le monde sait, ou doit savoir, que le ciel de la Flandre est loin d’être bas ; il est au contraire immense et sa lumière est d’une rare qualité. Certes, je ne renie pas mes origines, mais que voulez-vous, j’ai bel et bien vu le jour sous le ciel gris perle de Paris, dans le 18e arrondissement, d’une mère Savoyarde et d’un père lui-même fils et petit-fils d’une Bourguignonne et d’une Tourangelle. Y a-t-il beaucoup de « purs » français qui le soient autant que moi ? J’ai toujours vécu à Paris et j’y ai fait mes études. Je suis foncièrement parisien. » 

Cette réponse n’est pas seulement anecdotique. Il faut savoir (mais cela devrait faire l’objet d’un autre article) que la Belgique une fois indépendante (en 1830) a cherché à se trouver une spécificité culturelle afin de justifier son existence politique. On a donc essayé de prouver que les écrivains belges faisaient la synthèse entre l’esprit latin et l’esprit germanique. A mon avis c’était une erreur d’affirmer cela des écrivains nés en Wallonie. Mais qu’en est-il des écrivains d’origine flamande qui écrivaient en français (Verhaeren, Maeterlinck et les autres) ? Se sentaient-ils flamands belges ou français ? Chacun a apporté une réponse différente. Crommelynck nous a donné ici la sienne.

Jean François Foulon

 

Publié dans articles

Pour être informé des derniers articles, inscrivez vous :
Commenter cet article
C
Pour le coup, à ce sujet, aucun doute !!!!!!! Et bravo pour ton article !
Répondre
J
Le deuxième but était de rediffuser les interviews de Marc Quaghebeur et de montrer ainsi qu'Actu-TV devient une émission culturelle des plus sérieuses et avec laquelle il faut désormais compter.
Répondre
C
C'est une super idée ! Et je dois avouer que je ne connaissais pas cet auteur... Inconnu en France. Dommage.
Répondre
J
Le but est de remettre sur le devant de la scène des écrivains classiques dont le nom est connu mais qui sont rarement lus.
Répondre
C
Cette rubrique au sujet des écrivains belges est un régal.
Répondre