Thierry-Marie Delaunois nous propose un texte-récit poétique "Le merveilleux"

Le merveilleux…
Elle venait d’entrer dans ma boulangerie,
Une coupe en brosse, des yeux noisette,
Altière, portée à la rêverie
Mais à présent elle contemplait les baguettes!
Pour moi, c’était clair: elle était là pour du pain
Et j’attendais de savoir ce qu’elle désirait:
Couques, brioches, pistolets, pain sans levain,
Sous ses yeux un bel assortiment s’étalait!
“- Pardon mais j’hésite, lâcha-t-elle soudain,
Ce que vous présentez là est si délicieux,
Je ne suis donc pas venue ici en vain!
Des petits pains au chocolat, des merveilleux!
Votre magasin, on me l’a recommandé,
Vous êtes, paraît-il, un boulanger hors pair
A qui l’on peut sans conteste tout demander
Six jours sur sept, cela il faut vraiment le faire!
- Madame, je dois vous… - C’est Mademoiselle!
- Toutes mes excuses… - Ne vous en faites point!
- Un grand merci! Evitons toute querelle!
- Très bien! Je prendrai deux merveilleux et ce pain!”
Tomba le silence, nos yeux s’accrochèrent;
Quelque chose se passait mais de quel ordre?
Surgit en moi un souvenir de fougères,
D’une émotion! Dans mon esprit, le désordre!
Ces yeux, ce petit air, cette intonation,
Ici et maintenant? C’était impossible!
Et après un si long temps de séparation?
Pourtant...était-ce de l’ordre du crédible?
Tout en la servant, je me mis à sourire:
Oui, ce devait être elle vingt ans plus tard!
Quelle surprise! Que pourrais-je lui dire?
Calme, elle attendait, me fixant du regard.
“- Voilà, Mademoiselle, votre commande!
- Merci, Monsieur...si je vous appelais Clément?
Oui, c’est moi Chloé, la gamine gourmande!
Je viens de te reconnaître, le garnement!”
Là, j’étais cuit, découvert, reconnu, coincé!
Le souvenir du jardin public remontait…
Les rires aigus et les jouets amochés,
Le soleil, son sourire que je revoyais!
Se souvenait-elle de ce baiser volé!
Un merveilleux atterrit sur mon visage,
Cela signifiait qu’elle n’avait pas oublié!
Mon baiser avait causé des dommages!
Vingt ans plus tôt, elle n’avait pas réagi,
Probablement stupéfaite et en émoi,
Et en très peu de temps, elle avait rougi
Avant de filer et de rejoindre les bois.
“- ça, tu ne l’as pas volé! s’écria-t-elle,
Et je pense que maintenant, on est quitte!
Hasard, chance ou destin? précisa-t-elle,
Pensive, qu’importe, ici pas de fuite!
Quand j’étais jeune, j’étais plutôt timide!
Un merveilleux à la place d’une gifle
Ou d’une griffe, là je suis souple, fluide!
Jolie tête! D’admiration, je siffle!”
A coup sûr j’avais mérité ce châtiment,
Pépites de chocolat et crème fraîche
Sur le nez, les joues, les yeux, quel traitement!
C’était un jour où je n’avais point la pêche!
“- Alors, Clément, je prends ici ma revanche
Et n’est-elle pas belle et...merveilleuse?
Lâcha-t-elle alors qu’on était dimanche,
Et j’estime avoir été généreuse!
- Mais en quoi, Chloé? Tu parles de la crème?
Tu t’es privée d’une pâtisserie
Que les villageois trouvent d’un goût suprême!
De l’artisanat en ma boulangerie!”
A nouveau un grand silence! Bénéfique?
Je saisis ma chance, tendit un doigt crémeux,
Me souvenant de ses goûts; ce fut magique
Car elle en profita sans que ce soit douteux:
Elle s’approcha bientôt pour recueillir d’un doigt,
De manière pudique mais souriante,
Ce qui lui revenait en effet de plein droit
Et je ne pus que la trouver éblouissante!
Clément et Chloé, tous les deux, là, si proches,
Plus des enfants mais des adultes consentants!
La situation n’était vraiment pas moche!
Dans sa façon de faire, rien de percutant!
Chloé récupérait sa pâtisserie
Etalée sur le visage de Clément,
A l’instant personne en la boulangerie!
Sinon on aurait pu nous prendre pour amants!
L’acte était intime et d’ordre privé,
Les gestes de Chloé mesurés, sensuels;
Immobile, j’en frémis, les sens activés!
Si elle poursuivait, je pourrais voir le ciel!
“- Clément, qu’as-tu fait? Pourquoi m’as-tu embrassé?
- Pardon, Chloé, je me suis laissé emporter!
- Clément, sache que c’était vraiment très osé!
- Sache, Chloé, que ce n’était point calculé!
- N’éprouvais-tu pas pour moi quelque sentiment
A cette époque lointaine, mon cher Clément,
Pour oser ainsi m’embrasser si tendrement?
Eh bien, moi, je t’aimais, sais-tu, sincèrement!
- Ah bon, Chloé? Quel doux aveu car moi aussi!
- Toi aussi, Clément? A notre âge? Que dire?
- Au jardin public, j’y ai songé moi aussi!
- Bon sang, Clément, là je ne sais point que dire!
Tout à coup, un nouveau baiser et point volé
Dans la boulangerie au milieu des pains
Cette fois tous nos sens s’étaient bien activés!
Aurions-nous tous les deux un merveilleux destin?
FAIM, pardon...FIN!
THIERRY-MARIE DELAUNOIS