Jean Destree nous propose un nouvel extrait de son prochain ouvrage "Un compte de fées"

Publié le par christine brunet /aloys

 

 

L’orage de la veille avait transformé les chemins forestiers en un bourbier collant aux chausses. Les montures trempaient leurs pattes dans la boue. Elles n’avaient pas besoin de freiner des quatre fers, la boue s’en chargeait. En marche ralentie, notre quatuor traversa une lande. Ils arrivèrent devant un grand lac. S’approchant, ils entendirent une petite voix qui chantait. Surprise! Une petite damoiselle à la queue de poisson était couchée sur une sorte de petit monticule sur une plage de galets. Entendant les pas des quadrupèdes, elle tourna la tête. Puis de remit à chanter.

 

- Bonjour, dit le prince Amaury.

- Bonjour dit Hestor

- Hello, répondit l’apparition.

- Qui es-tu, demanda le prince.

- Je suis Éline et toi?

- Je suis Amaury. D‘où viens-tu comme ça?

- D’un pays lointain près de la mer. Et toi?

- De mon château.

- Il est loin ton château?

- Oui beaucoup de lieues. Il faut marcher pendant des jours.

- Pour moi c’est compliqué. Je ne marche pas.  Je nage mais ici, c’est aussi compliqué, parce que il n’y a pas beaucoup d’eau et quand je plonge, je me cogne la tête contre le fond. Et ça me fait des bosses grosses comme des tomates.

- Tiens donc. Pourquoi tu ne marches pas?

- Tu n’as pas vu? Je n’ai pas de jambes, Je n’ai qu’une queue de poisson.

- C’est vrai que ce doit être compliqué de marcher avec une queue de poisson. Qu’est-ce qu’il t’est arrivé?

- C’est mon frère Flipper le dauphin d’Amérique. Il m’a fait une queue de poisson en me dépassant pendant une course. Je suis restée comme ça. Mon appendice m’empêche de marcher.

- Tu aurais dû te faire opérer. Moi, on me l’a enlevé.

- Tu avais le même?

- Non. Un ami de Vésale m’a ouvert le ventre. Et couic!

- Tu avais une queue de poisson dans le ventre? Ça, ce n’est pas courant, à moins que tu en aies avalé une.

- Mais non, l’appendice est au bout de l’intestin. Quand il est enflammé, on l’enlève et on se sent mieux.

- Ah! Tu avais le feu dans le ventre? Ça doit faire mal. Et comment on l’éteint?

- Je te l’ai dit, on coupe.

- Ah oui! J’ai compris, c’est un coupe-feu! Ça fait couic?

- Comme tu dis.

- Mon prince, je ne comprends rien à vos discours, dit Hestor en bâillant. Je commence à avoir faim. Laissons cette petite malheureuse avec sa queue de poisson et continuons notre voyage.

- Tu es vraiment terre à terre, mon pauvre Hestor.

- D‘abord, je ne suis pas terre à terre, mais assis sur mon âne qui a les pieds sales.

- Et toi, petite Éline, d’où viens-tu?

- Mes parents étaient marins sur une goélette. Ils ont débarqué ici après une tempête. Mon papa est reparti en bateau et maman s’est mise à laver les vêtements des marins pour acheter des tartines. Mon frère Flipper a aussi voulu partir en bateau mais maman n’a pas voulu. «Un coureur des mers, ça suffit,» qu’elle disait. Mon frère a décidé d’être coureur à pieds. Il voulait que je cours avec lui mais quand il m’a fait une queue de poisson, je ne pouvais plus courir. Il m’a laissé tomber. J’ai fait plouf et alors je me suis mise à nager. Ici je me repose sur mon tas de cailloux.

- Tu as dit que ton frère était un dauphin.

- C’est le surnom qu’on lui a donné. Le fils aîné d’un roi s’appelle le dauphin. Et mon papa était le roi de la mer. C’est logique non?

- Tu es une petit finaude.

- Je sais. Maman me le dit toujours Éline la fine. Ça rime n’est-ce pas?

- Et tu vas rester comme ça longtemps sur ton tas?

- Je ne sais pas. S’il pleut trop fort,je plonge pour ne pas être mouillée.

- Ben voyons! Nous te laissons et tâche de ne pas trop prendre froid. C’est mauvais pour la  santé.

- S’il fait trop froid, je plonge aussi.

 

Nos voyageurs laissèrent Éline la petite sirène à queue de poisson. Ils trottèrent longtemps à travers la lande puis ils arrivèrent en fin de jours à la lisière d’une forêt. Hestor bâilla bruyamment. Un pic vert se mit à faire la mitrailleuse sur le tronc d’un vieux hêtre. Hestor ne comprit pas le message et crut que l’oiseau se moquait  de lui. Il jura un grand coup. Le pic se remit à mitrailler le hêtre pour montrer sa réprobation d’avoir été dérangé.

 

 

Jean Destrée

Publié dans Textes

Pour être informé des derniers articles, inscrivez vous :
Commenter cet article
C
Heureuse de découvrir un extrait du nouvel opus de Jean Destrée.
Répondre
E
Merci pour ce bel extrait car je n'avais aucune idée de ce que pouvait bien être cette oeuvre. Quelle belle originalité (quelque peu délirante mais on s'y plait!)... Bravo!
Répondre