Cathie Louvet nous propose un extrait de son second tome "De Glace et de Feu : l'empire disloqué "
Début du chapitre 2 :
822. L'été touchait à sa fin. Louis était exténué et en mauvaise santé. Il maigrissait à vue d’œil, avait le teint jaune et souffrait de terribles migraines. A la lutte farouche dont il était le centre était venue se greffer l'échec de la mission d'Ebbon. Judith n'avait donc eu aucun mal à le convaincre de se retirer quelques jours dans leur château d'Ingelhgeim, plus modeste et plus tranquille que le palais d'Aix-la-Chapelle et de ses agitations, niché au cœur de magnifiques collines boisées où il pourrait oublier ses soucis en s'adonnant à son sport favori, la chasse. L'empereur avait très envie de cette petite escapade mais il hésitait à abandonner les affaires de l’État. Pourquoi ne pas déléguer ses responsabilités à Agobard et à Ebbon ? Ils étaient tout à fait à la hauteur de la tâche et leur dévouement n'était plus à prouver. Et puis, il ne s'agissait que de quelques jours, et, en cas d'urgence, Ingelnheim ne se trouvait qu'à trois jours de cheval tout au plus. Plongeant son regard dans les yeux noirs de son épouse, Louis se laissa fléchir.
Afin de ne laisser à quiconque le temps d'empêcher leur départ, le couple impérial se mit en route le dimanche suivant, dès la fin de l'office, par un temps radieux. Chevauchant à côté de la litière de Judith, Louis se sentait déjà mieux et ne cessait de féliciter la jeune femme de la bonne idée qu'elle avait eue. Il en avait presque oublié la terrible scène de la veille : Agobard avait crié, tempêté, appelé la malédiction sur sa famille, mais rien n'y avait fait. Louis, comme tous les grands timides, était parfois capable de s'entêter au point que rien ni personne ne pouvait le faire changer d'avis. Agobard s'était alors tourné vers l'impératrice et, tout en proférant les pires menaces, la bouche écumante, les yeux exorbités, avait pointé vers elle un doigt accusateur mais la jeune femme l'avait dévisagé de ses grands yeux faussement candides en disant que seuls lui importaient la santé et le bien-être de son époux.
L'automne fut splendide et le séjour à Ingelnheim tint toutes ses promesses. Quelques semaines avant les fêtes de la Nativité, Judith, radieuse, annonça à Louis et à toute la cour sa nouvelle grossesse. Et cette fois, elle en était certaine, elle portait un fils. De fait, le 13 juin 823, elle donna le jour à un garçon d'apparence délicate mais en bonne santé. Les deux époux se réjouissaient sincèrement de cette naissance, mais pas pour les mêmes raisons : Judith, après quatre années de lutte, possédait enfin l'atout grâce auquel elle était certaine de remporter la partie. Quant à Louis, il considérait le petit Charles, enfant de son épouse bien-aimée, avec des yeux neufs, comme s'il devenait père pour la première fois. Il espérait aussi, en son for intérieur, que sa femme se montrerait moins exigeante et plus encline à composer avec les clercs de son entourage. Mais il ignorait que l'ambition d'une femme telle que Judith, dès qu'elle devenait mère, ne connaît jamais de repos.