Cette fois, Didier Veziano nous entraîne à Dubaï avec "Opération Taranis"
Dubaï – Dans une suite de l’Hotel Mariott
Debout près de la porte, un homme d’une cinquantaine d’années en costume de marque clair accueillit ses invités. Il les dirigea vers une table basse en les précédant, le bras tendu en signe d’invitation. Souriant, bronzé, il portait une fine barbe parfaitement taillée. Sa prestance laissait deviner un grand raffinement. Une assiette de gâteaux secs et une corbeille de fruits les attendaient, ainsi qu’un magnifique samovar. L’odeur sucrée de thé qui s’en dégageait envahit doucement la pièce. Les hommes s’assirent autour de la table. Dans la plus pure tradition iranienne, l’hôte les servit dans de petits verres cerclés d’argent. Le rituel dura quelques minutes silencieuses. Une fois les verres disposés face aux convives, telles des offrandes, le sourire de leur hôte s’effaça pour dévoiler un regard d’acier activé par de vifs yeux noirs plissés que protégeaient de fins sourcils. Le ton de sa voix était grave. L’homme imposait immédiatement le respect. Il s’appelait Ali-Reza Peshavzi. C’était le Directeur du Vevak, le redoutable service de renseignements iranien, autrement dit l’un des hommes les plus puissants du pays. Le Vevak fonctionnait sous le contrôle direct du Guide Suprême. Il ne devait rendre de compte à personne, ni au gouvernement ni au Parlement. Il était doté d’un budget secret et se plaçait au-dessus des lois. Ces trente dernières années, il s’était développé en machine de répression politique tentaculaire et avait utilisé le terrorisme comme levier pour obtenir des concessions des pays occidentaux. Les prérogatives et le pouvoir de nuisance de ce service étaient sans limites. Ali-Reza en était le plus haut et le plus sinistre représentant.
Assis à côté d’Ali-Reza Peshavzi, faisant face à Abou Hamzra et Yousef, un petit homme sec au visage d’aigle : Imad Moussayhé. Homme de l’ombre et trait d’union entre le régime iranien et ses satellites, le Hezbollah d’Hassan Nasrallah ou, depuis peu, le Hamas de Khaled Mechaal. Après quelques banalités échangées sur les conditions de leurs voyages et le charme de l’hôtel, Ali-Reza prit la télécommande posée au pied de la table et la dirigea vers le plafond. La lumière se tamisa lentement. Une autre pression sur une touche et un écran blanc descendit le long du mur, sur sa droite. Quelques secondes plus tard, la carte politique du grand Moyen-Orient se dessinait. À chaque pays correspondait un code couleur et la photo de son leader politique apparaissait dans une petite image en surimpression, à côté du drapeau du pays auquel il était inféodé. La bannière étoilée américaine y figurait encore en bonne place à l’est, avec le Pakistan ou l’Afghanistan, ou bien au sud-ouest, avec l’Arabie Saoudite. Mais les taches noires du drapeau de l’Etat Islamique, telles des excroissances malignes, dénaturaient l’extrémité ouest de la région, dans une zone couvrant l’Irak et la Syrie jusqu’aux portes de la Turquie. En regardant dans le détail, on devinait le logo des principales factions religieuses et politiques dominantes.
— Mes amis, annonça-t-il solennellement, voici la partie de notre monde tel qu’il existe aujourd’hui. Un monde dispersé, désuni. Un monde encore sous influence qui tend toujours une main implorante et tremblante vers les Occidentaux. Voici maintenant ce monde tel que nous allons le modeler.
La carte s’anima, épurée de toutes nuisances visuelles, pour laisser la place à un Iran dominant dont la couleur verte s’étendait progressivement comme l’épandage d’un produit fertilisant sur toute la région, de l’Égypte aux confins de l’Afghanistan. Le drapeau américain et les taches noires avaient disparus.