Brigitte Hanappe nous propose un extrait de son ouvrage "le flou du miroir"
Chacun sa vie, chacun ses petits excès !
Moi, le mien, c’est le bain, trop chaud, trop plein ! C’est un moment, dont j’abuse, non par souci de propreté excessive mais parce que je fais tout dans mon bain : je réfléchis, je me détends, je m’épile les jambes, je chante, je pleure et je me tue aussi… comme ce 30 octobre 2002.
J’ai alors 43 ans mais je ne suis plus une femme normale depuis longtemps. Je suis un paquet de souffrances et de peurs incompréhensibles que je traîne derrière moi comme un boulet. J’abrite en moi un être secret qui me protège, qui me malmène et me dirige depuis l’enfance. Comme d’habitude, mes heures s’écoulent goutte à goutte, dans un brouillard opaque.
Pourtant, l’automne a peint les arbres du jardin de multiples teintes chatoyantes, la pluie rafraîchit doucement l’atmosphère et un vent léger fait valser les feuilles devant mes fenêtres. Je vis dans un couloir parallèle à ceux des autres et je ne suis plus capable de percevoir la beauté des choses. Les couleurs automnales agressent mes yeux, la pluie me fait frissonner des pieds à la tête et le vent bourdonne dans mes oreilles comme une nuée d’abeilles. Tout est devenu si compliqué, les perceptions si différentes : finie la vie paisible et bonjour les soucis, finis les bonheurs simples et bonjour les complications, finie la vie normale et bonjour l’angoisse.
Le moindre geste anodin exige de mon corps des efforts insupportables : mes larmes n’arrêtent pas de couler, la vue de la nourriture provoque des nausées, ma bouche refuse d’avaler autre chose que les petits comprimés destinés à me calmer, mon cerveau bouillonnant n’aspire qu’au repos. Je passe des heures entières recroquevillées dans mon lit, assommée par des somnifères, m’entourant moi-même de mes bras. Je voudrais me blottir comme une petite fille qu’on peut aimer dans une enceinte accueillante, m’enfouir jusqu’à étouffer dans des replis de chairs douces mais je n’ai que mes mains sèches et froides pour enserrer mon cou… Ces doigts crispés qui s’enfoncent comme des crochets et qui m’écorchent de leur caresse sont-ils vraiment les miens ou ceux de mon « double » qui me berce depuis toujours ?
Quand j’ai ouvert le tiroir de la cuisine, est-ce moi qui ai empoigné ce grand couteau luisant ou est-ce lui, qui a guidé mon geste ?