"Hôtel continental", une nouvelle signée Micheline Boland

Hôtel continental
Hôtel continental. 120 chambres au centre-ville, à deux pas de la cathédrale, du théâtre des variétés, de l'hôtel de ville, de brasseries sympa, pas loin du parc.
Café-restaurant de l'hôtel Continental. Des murs jaune soleil, des chaises en cuir noir, des tables en bois rustique. Une fresque colorée derrière le bar.
Salle de séminaire de l'hôtel Continental. Des murs jaune doré. Des meubles de rangement bruns, des tables et des chaises brunes, faciles à déplacer. Un éclairage doux.
Mathieu 38 ans quitte la salle de séminaire. La formation à la communication gagnant-gagnant est terminée. Elle lui a laissé des idées plein la tête, l'a confirmé dans ses certitudes. Il en est convaincu : il maîtrise de mieux en mieux les rapports avec les fournisseurs, la clientèle, les collaborateurs. La vie lui sourit. Il va prendre une bière légère avant de remettre de l'ordre dans ses notes puis d'aller à la recherche d'un restaurant. Demain, de bonne heure, il reprendra l'avion vers Paris.
Bénédicte, 27 ans, boit un café dans le bar de l'hôtel. Elle aussi vient de suivre cette même formation. Elle fourmille de doutes. A-t-elle vocation de manipuler les autres ? Veut-elle de la vie qui se profile pour elle ?
Mathieu entre dans la taverne, il se dirige vers Bénédicte :
"Je peux m'installer près de toi ?
- Pas de souci.
- Alors contente de ces deux jours ?
- Bof !
-Bof ?
- Oui bof ! S'accorder aux autres pour les emmener sur notre territoire, c'est manipuler. Comment dire ça autrement ? Je viens d'entrer dans le monde du travail. J'ai papillonné un peu avant d'être engagée chez ALMW et je me demande si je ne serais pas davantage à ma place dans l'enseignement ou dans le culturel. Mes parents me le conseillaient, mais je n'aime pas suivre les idées des autres. On m'a trop guidée quand j'étais gosse et j'ai trop laissé faire."
Bénédicte s'épanche. C'est la première fois qu'elle se vide ainsi de ses préoccupations. Mathieu adopte les mêmes postures qu'elle.
"La fourchette d'argent", bistrot gourmand à une centaine de mètre de l'hôtel Continental. Des murs peints en blanc, de grandes toiles abstraites dans les tons rouges, des chaises garnies de rouge. Des spots à la lumière chaude.
Bénédicte et Mathieu sont assis face à face. Bénédicte parle. Mathieu l'écoute. Elle lui paraît fragile, si fragile. Mathieu scout toujours prêt, marié depuis quatorze ans avec Vanessa, une fille rencontrée sur les bancs du lycée, père de jumeaux de 12 ans. Bénédicte, femme enfant, irresponsable, indécise. Mathieu pressent qu'elle peut devenir sa BA du jour. Auteur d'un verre de Beaujolais village, d'un thé, d'un café, devant un steak tartare ou un petit gâteau, Mathieu est toujours prêt. Ses études l'ont conduit des sciences économiques vers la psychologie et le management. Bénédicte critique, remet en question l'attitude de ses parents, ses profs, son directeur, ses collègues, son amoureux, mais pas son propre comportement. Elle a l'impression d'être incomprise, bafouée. Mathieu écoute, écoute encore. Il reformule. Bénédicte pleure. Mathieu accueille ce mal-être. Il s'y connaît pour consoler, booster, aider à trouver sa route, recadrer tout en douceur.
Quand ils ont rejoint l'hôtel Continental, Bénédicte quitte Mathieu en lui adressant un sourire. Elle dit adieu.
Le lendemain chambre 225 de l'hôtel Continental, la femme de ménage découvre le corps de Bénédicte inerte sur le lit. Il n'y a plus rien à faire pour la sauver. Elle a avalé une boîte entière de barbiturique.
Le lendemain, place D4 de l'avion Genève-Paris. Cabine beige, sièges garnis de velours vert. Mathieu tente de consoler son voisin du décès de son père. Il l'a entendu sangloter, il a juste demandé : "Je peux vous aider ?" et l'homme qui semble avoir dépassé la cinquantaine lui a expliqué que son père est décédé, qu'il rentre à Paris pour assister aux funérailles. L'homme s'est épanché. Il a dit les malentendus, l'éloignement, les problèmes d'argent, les disputes pour des broutilles.
Il est ainsi Mathieu, il s'intéresse aux gens. Scout toujours prêt. Parfois il se rend utile, parfois il rate le coche et l'ignore. L'ignorance peut avoir du bon…
Micheline Boland