Un nouvel extrait du roman de Didier Veziano "Opération Taranis"

Publié le par christine brunet /aloys

 

Bobigny - Seine-Saint-Denis.

Les allées du cimetière musulman perdu dans une zone industrielle au nord-est de Paris sentaient l’oubli, loin de l’esprit du projet politique qui prévoyait, au lendemain de la Première Guerre mondiale, de rendre hommage aux huit cent mille hommes de l'Empire colonial, soldats ou ouvriers dans les usines d'armement. Toutes les tombes étaient tournées vers La Mecque, les plus anciennes sobrement frappées du croissant et de l’étoile, les plus récentes se distinguant par une décoration plus riche. Dans le fond, les tours des cités restaient en retrait. Respectueuses. Yousef, comme c’était prévisible, était arrivé le premier. Il aperçut Saïd franchir le haut porche d’inspiration mauresque, au moment où une famille prenait le chemin inverse. Les deux hommes se donnèrent l’accolade, passèrent devant la salle de prière, un carré blanc surmonté d’un dôme, puis traversèrent un vaste espace vert parsemé de stèles anciennes identiques. Beaucoup semblaient abandonnées.

Tout en marchant, Yousef sortit une cigarette, la garda quelques instants en main avant de l’allumer, puis balaya le cimetière du regard en profondeur. À la suite de son entretien avec Abou Hamzra ils avaient décidé qu’il était temps d’intégrer Saïd au projet. Ce moment était important. Une fois dans la confidence il n’y aurait plus de retour en arrière possible. Or l’être humain avait une propension naturelle à craindre le passage de l’imaginaire au réel. Tout le monde pouvait élaborer des projets, pour lui et les siens, très peu étaient capables de franchir le pas. Yousef s’adressa à Saïd sans préambule.

— Saïd, mon frère, Je crois en toi. Je vais juste te poser une question et je te demande de me répondre avec toute ta foi : jusqu’où es-tu prêt à aller pour la cause ?

Pour Saïd cela ne semblait faire aucun doute.

— Jusqu’où Allah le miséricordieux le voudra, mon frère. Le djihad, le vrai, le pur, n’a pas de limites. Il doit être mené sur toutes les terres souillées par les infidèles. Et tant que je serai en vie, je me battrai. Jusqu’à la dernière goutte de sang s’il le faut, Inch’Allah !

Yousef le devina sincère. Il secoua la tête plusieurs fois et sentant que Saïd attendait une suite, il enchaîna.

— Le monde musulman a mené de grands combats dans l’Histoire pour porter la parole du prophète – Allah le bénisse et le protège ! – mais aujourd’hui, des régimes de mécréants résistent et cherchent à nous humilier pour assouvir leurs déviances et leurs pensées impies en infligeant des souffrances à notre peuple. Cette situation doit cesser. Il n’y a plus de dialogue possible. L’islam ne peut se confondre avec l’athéisme, il ne signera aucune trêve avec lui. Finis les débats et la diplomatie. Ces régimes athées ne comprennent que le langage des balles et de la destruction.

Était-ce l’influence du lieu ? Yousef, dont les discours avaient d’ordinaire une portée plus politique, brûlait d’une ferveur religieuse inhabituelle. Ses yeux brillaient. Il parlait, les mains levées en direction du Ciel quand il entendit Saïd réciter le Coran comme pour mieux appuyer ses propos.

— « Préparez contre eux ce que vous pouvez réunir d’armement et de chevaux en alerte, pour épouvanter l’ennemi d’Allah, le vôtre, et outre ceux-là, d’autres que vous ne connaissez point, mais qu’Allah connaît ».

Ils passèrent une dizaine de minutes à errer dans les allées, faisant ressurgir du fond des siècles les versets les plus belliqueux. Transposés au temps présent, les mots lourds de sens résonnaient comme le roulement des secousses précédant un tremblement de terre. Saïd revint brutalement à la réalité.

— Je suis impatient de savoir quelle est la mission que tu souhaites me confier.

 

Publié dans Textes

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