Christian Eychloma nous propose un nouvel extrait de son dernier roman "Le dilemme de Trajan"
Caius Plinius Caecilius Secundus reposa un peu nerveusement son stylet qui claqua sur le marbre de sa table de travail. Se laissant ensuite glisser en arrière contre le dossier de son large fauteuil, il demeura un moment sans bouger, songeur, les bras à plat sur les accoudoirs.
Il avait du mal à trouver la bonne formule et ressentait la nécessité de réfléchir plus longuement à la façon dont il fallait présenter les choses à Trajan. Car même si le poste prestigieux qu’il occupait depuis peu prouvait toute la confiance dont l’honorait l’empereur, il hésitait encore à contrevenir à certaines directives sans en référer au préalable.
Il lui fallait faire une pause. Déterminé à prendre son temps, il se mit debout et, tout en comparant mentalement diverses introductions possibles, se dirigea vers son point d’observation préféré. Pensif, il se planta devant la murette fermant la terrasse à l’extrémité de laquelle une série de colonnes finement cannelées et coiffées de feuilles d’acanthe dorées soutenaient le toit de tuiles rondes.
Les deux mains en appui pour soulager sa jambe qui, vingt bonnes années après sa blessure, se rappelait encore parfois à lui, son regard s’attarda longuement sur les collines boisées s’étendant comme une mer, à perte de vue, autour de la baie.
C’était là l’image qui lui venait chaque fois à l’esprit. Un océan de verdure bordant des deux côtés une vaste étendue calme et bleue terminée par une ligne d’horizon au-delà de laquelle, très loin, se trouvaient la Grèce, l’Italie, Rome. Un paysage dont il ne se lassait pas.
Il ferma à demi les paupières. À cette heure de l’après-midi, le soleil déclinant dessinait sur l’immense étendue turquoise un sillon étincelant dont on aurait pu penser qu’il se prolongeait jusqu’au bord occidental du monde.
Il entendit, trois étages plus bas, au pied du grand escalier, Calpurnia renvoyer les porteurs puis donner des ordres aux esclaves domestiques. Il sourit en l’imaginant en train de prendre des poses devant son grand miroir, enfilant l’une après l’autre les nouvelles robes qu’elle avait vraisemblablement ramenées des boutiques de l’agora.
Les robes de sa chère et tendre épouse… Souvent distrait, il n’y prêtait pas toujours l’attention qu’elle aurait souhaitée, bien qu’elle eût récemment réussi à l’éblouir. Oui, un véritable enchantement que cette ample pièce de tissu qui, avec le chatoiement de nuances mêlées vertes, blanches et bleues, évoquait si étonnamment, à chacun de ses gestes, le mouvement des vagues.
Il soupira. Le paradis… Car c’était bien comme ça qu’il se serait volontiers représenté ce fameux « au-delà » auquel les chrétiens jugés les plus méritants auraient eu accès après leur mort. Illusion à laquelle tous croyaient évidemment dur comme fer, parmi d’autres aberrations. Et qui expliquait sans doute leur prodigieux entêtement et leur indéfectible volonté à ne rien céder de ce qui constituait leur doctrine.
Le paradis pour lui - bien terrestre celui-là - si, paradoxalement, eux n’étaient pas là… Morose, il revint vers son bureau et récupéra la tablette sur laquelle il avait commencé à graver son premier brouillon.