Jean-Louis Gillessen nous propose un texte publié dans la revue R.I.F (Réfléchir-Intervenir-Former.)
Texte écrit et publié dans la revue R.I.F (Réfléchir-Intervenir-Former.)
EAU, TU ES LA VIE
Je suis un peu fatigué, assis au chaud dans cet estaminet. Il pleut. Fin de journée. Choix d’un temps de pause, petit café mérité, indiqué ou non, douceur coton du brouhaha d’ambiance.
L’écho me parvient de phrases trop fortes et refroidies, de trompeuses discussions dans la passion, de rires éclatés à l’unisson, trop gros, bidons, fausse cadence, alcool annonciateur de décadence.
Des femmes, des hommes, boivent, beaucoup. Trop. Ces « trop » lancés sur mon papier trottent et galopent en récurrence : je ne veux pas qu’ils me dérangent, ils sont là, tout simplement. Les « trop ». Font que j’écris, grâce à eux, grâce à ces gens qui les induisent. Alors sur cette feuille brut de papier j’étiole leur brutalité, de ces trop qui maintenant s’apaisent et s’amenuisent, in fine soulagés d’être enfin transcrits, sublimés. Heureuse opportunité du pléonasme inopiné. Pas de hasard dans l’union de ces instantanés.
Je suis juste fatigué, pleinement, assis dans cet estaminet. Musique de jazz « blue note ». Sourdine. Mes sens en l’état se ressourcent puis s’énergisent d’être sollicités par l’écoute et l’observation de mise.
Soudain, tel un objectif manipulé par Hitchcock, mon regard en projeté zoom avant progressif, pour ne plus avoir sur l’écran de ma rétine qu’une seule image pleine, ce regard mien fond précisément comme œil de caméra en fondu enchaîné … sur un robinet qui coule dans un des éviers du bar comptoir. Le filet d’eau coule abondamment et régulièrement.
Parallèlement, comme si dans l’arrière-salle un ingénieur du son inversait deux manettes, les bruits d’ambiance s’effluvent, s’évolutent et disparaissent en un parfait on - off simultané, pour ne plus laisser entendre que le seul roulis filtré si fidèle à l’ouïe … de l’eau qui se perd, part, s’évanouit.
Prisonnière des tuyaux, canalisée par l’homme, elle se doit de rester claire. Claire fontaine de plaisir, créatrice de la vie. Mais ici, il y a contrainte, servitude, travail forcené pour elle qui se tue. Elle ne peut s’évader, se voit gaspillée, assassinée. Par faute de l’insouciance humaine, ce bien si précieux ne sert-il en ce lieu qu’à nettoyer les verres ?
Non, me dit Claire Fontaine, la vie de l’eau est eau de vie, les gens l’écoutent ruisseler, la ressentent sur la peau, la goûtent. Sans elle, même la bière dont tu parles ne pourrait naître … l’eau en est son partenaire constitutif. Et puis toi aussi, tu ne le sais peut-être pas, tu baignes en ton corps l’eau qui te baigne en retour, à septante pour cent de ta personne que tu véhicules tous les jours.
« Nous sommes tous emplis de tellement d’eau !? », s’exclame un client. « Mais c’est effarant ! Jésus Marie Joseph, Dieu soit loué, mes doigts trempés dans l’eau bénite, je prierai trois Ave ! ».
Et La Fontaine d’encore narrer qu’elle se veut claire pour les mains des enfants et des plus grands : ils recueillent l’eau chatoyante et chatouillante qu’elle aussi charrie : « Tu me blagues », lui distille tendrement l’eau tout en caresses. Que nenni, « Je te charrie vers eux », lui dit-elle en souriant.
Liberté de l’eau, tu es la vie.
Jean – Louis Gillessen
Educateur spécialisé - Intervenant social.
Texte écrit et publié dans la revue R.I.F (Réfléchir-Intervenir-Former.)