Joe Valeska nous propose un nouvel extrait de son premier tome des Meurtres surnaturels
Ivana / Caroline
Un extrait de Meurtres Surnaturels, volume I :
Les Métamorphoses de Julian Kolovos
Par Joe Valeska
Environ une heure plus tard, Ivana, déjà pomponnée, descendit dans le grand salon, toute guillerette. Une cartomancienne rencontrée lors de la fête d’anniversaire du jeune Abhishek l’y attendait depuis dix minutes. La femme aux cheveux orange et au visage buriné, vêtue comme les bohémiennes dans l’imagerie populaire, fut accueillie par Caroline qui demeura sur place pour, d’une part, s’occuper de l’époussetage des meubles et, d’autre part, se divertir du spectacle grotesque que lui offrirait, à coup sûr, cette petite imbécile d’Ivana.
Car c’était la toute dernière lubie de la star : se faire tirer les cartes. Il y a quelque temps, cela avait été la pratique du yoga – qu’elle abandonna dès qu’elle réussit, Dieu seul sait comment, à se faire un tour de reins. Avant la pratique du yoga, cela avait été des cours de country. Mais le professeur la pria de ne plus jamais revenir, la qualifiant de catastrophe ambulante ! De tsunami ! Elle pensa également s’essayer au paintball… Par chance, son père lui fit promettre d’abandonner son idée de se mettre au tir à l’arc sur leur domaine.
– Ma colombe… Et si jamais tu tirais dans les fesses de ton frère pendant qu’il est à cheval ? Ou si tu tuais la bonne !?! Le tricot, qu’en penses-tu ? Quoique… non : les aiguilles ! On ne sait jamais, tes yeux !
Et que dire de la fois où, croyant adopter des maine coons, elle revint au château, embobinée par un vendeur, disons, louche, avec un couple de hyènes tachetées ? Quel cirque dans les couloirs et les pièces du château… Francesco, Ornella, Sofia, Dimítrios et la domestique couraient dans tous les sens, se croisaient et se croisaient encore, poursuivis par les bébés de la star hilare, poussant des cris d’horreur, alors que les hyènes ricanaient. Julian regretta fortement d’avoir raté ce merveilleux spectacle.
Pauvre Caroline… Aux urgences, encore une fois !
Quand Ivana tournait, dès qu’une scène nécessitait un minimum d’adresse – ne parlons même pas de cascades ! Car une doublure était alors requise –, le pire n’était jamais bien loin… Ni les services d’incendie et de secours. Une actrice exceptionnelle, certes, mais un cauchemar durant les tournages. Ainsi que dans la vie de chaque jour.
– Après la méchante reine, voici Blanche-Neige, dit la domestique à voix basse, se mettant à fredonner Supercalifragilisticexpialidocious afin de rendre Ivana complètement folle, car la star détestait Mary Poppins, et ce, depuis qu’on lui avait refusé de reprendre le rôle de Julie Andrews dans cette nouvelle version cinématographique qui, au final, était tombée à l’eau.
La séance put commencer après quelques : « Chut !!! », des regards obliques et un minimum de préparation et de manipulation des cartes du tarot – dit « de Marseille ». Mais Caroline, se tenant à bonne distance, jouant avec son plumeau comme un chef d’orchestre avec sa baguette, reprit de plus belle, augmentant le volume dès que revenait le mot le plus incroyable jamais créé pour une chanson et faisant, par là même, sursauter Ivana à chaque fois, comme si la malheureuse était assise sur un ballon sauteur ! La star finit par perdre son sang-froid.
– Mais allez-vous vous taire, Caroline !?! Nous sommes occupées, Raka et moi ! Êtes-vous réellement idiote ou le faites-vous exprès !?!
– Je ne voulais pas importuner Mademoiselle. Que Mademoiselle et son amie m’excusent.
– Allez voir ailleurs si j’y suis, Caroline. Il émane de tout votre être des ondes négatives qui perturbent notre concentration. N’auriez-vous pas tous les W.-C. du château à récurer, à tout hasard ?
– Mais même ailleurs, Mademoiselle, il serait bien difficile de vous ignorer… Des portraits de Sa Majesté recouvrent la plupart des murs de ce château.
– Vous êtes sotte, Caroline.
– Juger autrui… c’est se juger soi-même, Mademoiselle !
– Oh ! Quelle impudence… Je le dirai à papa, quand il descendra, et vous serez crucifiée ! CRU-CI-FIÉE !!! Dehors, maintenant ! Dehors !!! s’époumona Ivana, folle de rage et rouge comme le nez de l’auguste.
La domestique quitta la pièce une fois de plus, mais plutôt fière d’avoir réussi ce qu’elle espérait réussir : faire sortir Ivana de ses gonds. Dans le vestibule, tout en s’éloignant, elle se remit à chanter la chanson à tue-tête…
– Vous entendez, Raka ? Vous entendez ? Elle le fait exprès. C’est le démon, cette fille ! Un jour, j’en suis sûre, je vais avoir une rupture d’anévrisme à cause d’elle !
– Souhaitez-vous que nous arrêtions, très chère ? demanda alors la cartomancienne à Ivana, exaspérée.
– Arrêter ? s’étonna la star. Mais non, ça va aller, Raka. Il me faut absolument savoir. Continuez, je vous en prie.
– Fort bien. Comme il vous plaira. Mais quelle était votre question, déjà ? Cette chanson m’a fait perdre le contact avec les puissances supérieures.
– Eh bien, Raka, est-ce que c’est moi qui vais décrocher l’Oscar de la meilleure actrice lors de la prochaine cérémonie, voyons !?!
Raka tira les cartes et fit mine de très longuement réfléchir. Elle fronça les sourcils, manipula les cartes, soupira, manipula les cartes à nouveau, puis elle ouvrit de très grands yeux.
– Oui ! Les puissances supérieures sont formelles ! s’écria-t-elle.
Ivana, ivre de bonheur, se mit à gesticuler sur son siège et à pleurer comme une démente. Gloussant en même temps, elle n’arrêtait pas de demander à son invitée si c’était bien vrai.
Elle se leva subitement, surexcitée. On aurait dit qu’elle allait prononcer son discours de remerciements.
– Il faut que nous fêtions ça ! Après tout, c’est mon anniversaire, aujourd’hui. Sortons vite m’acheter de nouveaux atours et de nouvelles paires de chaussures ! Je sais où trouver les derniers modèles qu’on ne verra jamais sur quiconque. Vous n’allez pas en croire vos yeux, Raka ! Bien sûr, je vous achèterai un petit quelque chose pour vous remercier, vous et les puissances supérieures…