Micheline Boland nous propose un conte pour Noël !
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Substitution
Mon histoire se passe il y a longtemps.
Ce soir-là, quelques jours avant Noël, Jean rentre chez lui. Contrairement à son habitude, il ne s'empresse pas de donner un baiser à Sylvette, sa jeune et jolie épouse. Il est visiblement troublé et embarrassé.
"Sylvette, c'est une véritable catastrophe ! Je viens de croiser nos voisins. Ils nous invitent pour le soir de Noël ! Une belle occasion d'apprendre à mieux se connaître, m'ont-ils dit ! Tu te rends compte. Nous sommes sans le sou et il nous faudra leur apporter le cadeau traditionnel. Qu'est-ce qu'on va faire ?
- Mais pourquoi as-tu accepté ?
- Tu sais, ils m'ont pris au dépourvu et je n'ai pas eu le temps de réfléchir… J'ai dit oui, comme ça, par politesse !"
Des brindilles, de bien maigres bûchettes et rondins, ils n'avaient guère que cela à pouvoir apporter. Leurs maigres économies avaient payé le peu de mobilier qu'ils avaient. Comme la plupart des jeunes mariés, ils voyaient la vie en rose et n'imaginaient pas qu'un imprévu pouvait arriver ! Ils avaient espéré que l'hiver serait clément et qu'ils auraient peu de frais de chauffage et de vêtements. Ils avaient eu l'audace de compter sur la bienveillance de la météo et des éléments naturels. Ils n'avaient pas envisagé qu'ils allaient être invités pour Noël chez des voisins auxquels ils devraient, comme c'est la coutume dans la région, offrir une belle grosse bûche pour alimenter le feu durant tout le repas. Ce cadeau était, en ce temps-là, le seul partage matériel des frais de la veillée.
Ces misérables branchages qu'ils avaient récoltés dans les endroits boisés des environs, jamais ils n'oseraient les donner. Ils étaient tout juste utiles à pouvoir cuisiner et à réchauffer un peu leur foyer le soir venu, quand le travail terminé ils se laissaient aller à la rêverie au coin de l'âtre sous une douce couverture. Pour ces activités, peu importait, en effet, la présentation du combustible, seuls comptaient les résultats. Pour illuminer un réveillon de Noël, il s'agissait de faire un cadeau non seulement fonctionnel, mais aussi présentable. La forme avait, ici au moins, autant d'importance que l'usage prévu.
"On ne va quand même pas demander à tes parents ou aux miens de nous prêter quelques sous. Ce serait leur montrer qu'on n'est pas vraiment capables de voler de nos propres ailes !
- T'en fais pas, mon Jean, nous devons trouver une solution et on la trouvera, Et si je brodais une bûche sur un joli morceau de soie ? Un joli napperon…
- Mais, tu n'y penses pas !"
Comment dissimuler au mieux leur pauvreté ? Oublié le napperon, puisque Jean n'en veut pas !
"Et si on offrait des rondins de bois ?
- Mais, pour quoi faire ?
- Des rondins de bois qu'on emballera joliment pour chaque convive. Ainsi chacun alimentera le feu au moment opportun…
- Ma pauvre Sylvette, tu crois que nos voisins vont se contenter de cela ?
- Ne t'énerve pas, Jean ! Ça ne sert à rien de tout précipiter ! Et si on demandait à Parrain ? Je le connais, il ne dira rien aux parents ! Ça restera un secret entre lui et nous !"
Et si, et si…
Soudain, Sylvette bat des mains : "J'ai trouvé ! Tu ne devineras jamais ! Quelque chose de délicieux et qui réduira leurs frais ! Je vais leur préparer un gâteau. Ce sera une contribution personnelle au repas et ainsi, nos hôtes ne se douteront pas de notre dénuement.
- Et si tu lui donnais la forme d'une bûche ? Ce serait une belle surprise, non ?".
Dès le 24 décembre au matin. Sylvette se met au travail. Elle prépare la pâte, la fait cuire. Une fois tiédie, elle la roule après l'avoir soigneusement garnie d'un peu de confiture. Elle orne son œuvre de nœuds et d'un entrelacs en confiture représentant les veines et les aspérités d'une écorce.
Le soir même, d'un air joyeux, ils offrent leur délicieuse pâtisserie, prétextant qu'un peu de renouveau ne fait jamais de mal à personne.
Leur innovation a tant de succès que bientôt à travers le pays tout entier, puis à travers quantité de contrées de plus en plus lointaines, tout le monde confectionne de tels gâteaux.
Ces pâtisseries furent par la suite garnies de crème au beurre, nappées de moka ou de chocolat, fourrées aux marrons ou enjolivées de massepain. Leur base devint une génoise moelleuse à souhait, tant l'homme cherche à améliorer ses créations.
Qui penserait que l'origine de la coutume fut un manque provisoire de ressources ? Qui oserait prétendre qu'il n'y a point d'issues heureuses aux imprévus de la vie ?
Qu'un chemin soit inabordable, nous en trouverons tous bien un qui nous conduira d'une manière différente vers cet endroit où nous espérions aller. Notre imagination n'est-elle pas notre plus sûr allié ? Notre capacité à découvrir d'autres voies n'est-elle pas ce qui nous rend unique parmi tous les êtres de la création ?
Micheline Boland