Patrick Benoit nous propose un second extrait de son ouvrage "La e Muette"
Mes origines
Je m’appelle e. Née d’un latin lointain, très vite, j’ai été considérée comme vulgaire dans les langues d’oc et oïl. Arrivée à Paris, ville pas encore très lumineuse, j’ai fréquenté Versailles où les h se faisaient aspirer quand ils n’étaient pas muets.
Si Versailles m’était conté, je serais assise sous un charme que seul un hêtre pourrait me faire rougir. J’y ai posé mes fesses et mes yeux pour glaner cette luxuriance entre fruit vert et fruit sec. Les jardins ruissellent d’anecdotes et de rencontres fortuites. Fort vite je me suis effacée pour entendre la pluie me secouer.
Cloîtrée dans un cocon, je suis devenue papillon. Mes ailes colorées rivalisaient avec les fleurs posées en parterre, rangées comme des i. Fluette et coquette, je volais de mes pétales jusqu’au jour où un filet m’attrapa dans ses entrailles.
Aveuglée par les mailles en dentelle, j’ai dû porter la culotte pour ne pas me faire piquer par un dard qui butinait tout ce qui voltigeait de part et d’autres.
C’est ainsi que je me suis recroquevillée en chenille autour d’un h muet.
Si les noces furent mielleuses, je décidai de ne pas garder ma langue en poche.