Carine-Laure Desguin a lu "La rivière des filles et des mères" d'Edmée de Xhavée

Publié le par christine brunet /aloys

 

 

Sa grand-mère Ayette a tué un homme et elle, elle est la fille de Dracula. Elle, c'est Zoya. Elle vit en Belgique et a toujours su que "sa famille n'était pas construite comme tant d'autres". Et la grand-mère d'Ayette, c'est Enimie Goguet, dont le père était trappeur d'origine normande et sa mère était Marie, une indienne. Qui fut enlevée par des Objibwés et échangée à Goguet Bellefontaine contre trois fusils et deux chevaux. 

  Zoya nous entraîne dans sa généalogie, très peu banale en effet. Et l'on s'y perdrait vite, dans ce labyrinthe d'histoires de famille qui nous emmènent de l'Europe vers le continent américain. Mais Zoya clarifie tout ça au début de chaque chapitre et ensuite donne la parole à chacune des intervenantes, ce qui nous plonge directement dans chacune des  vies de ces cinq femmes. Du live à plein tube! L'écriture d'Édmée de Xhavée est gaie, légère et savoureuse et c'est ce qui fait de ce livre bien plus qu’une recherche généalogique. 

  Il y a Belette (la mère d'Énimie, qui sera la mère de MacLeary, l'arrière- grand-mère de Zoya) qui fut emmenée par Bellefontaine près de Chicoutimi dans une cabane construite par lui-même en contrebas d'une rivière. La lecture de sa vie est un transport immédiat vers ces contrées lointaines et nous vivons avec elle sa vie en pleine nature aux côtés du Goguet. Page 23 "j'aimais avoir les doigts collants de sucre que l'érable me donnait ...". 

  Il y a Énimie, partagée entre son éducation au sein même de la nature que lui procura le Goguet et la vie mondaine et urbaine pendant les vacances auprès de la famille de son amie Malina. Énimie maria même Calum, le frère homosexuel de Malina, ceci afin de mettre fin aux commérages. Un mariage heureux et sans chaos malgré tout. Isl eurent cinq filles et puis une petite dernière, McKenna Mac Leary surnommée plus tard Mackie, née d'un moment d'égarement entre Énimie et un certain Albrecht. Énimie qui fut l'arrière-grand-mère de Zoya.

  Il y a Mackie, surnommée aussi Princesse. Avec ses soeurs elle fut formée au Vassar Collège et toutes reçurent une éducation équivalente aux standards masculins de l’époque. Nous sommes au début du 20ème siècle. Mackie tomba amoureuse de Urbain Detrooz (qui avait des origines belges) surnommé le Grizzly et le maria. Le Montana, c'est la solitude et la complainte des vaches, rien de bien exaltant. Et son mari, très volage, était souvent éloigné d'elle. Mackie, de son ranch américain, écrivait chaque jour à ses parents. Mackie et Urbain eurent deux enfants, Mariette (Ayette) et Jules-Nicolas. La vie de Mackie fut ébranlée par un douloureux évènement. Urbain Detrooz cachait bien des choses à son épouse. Je n’en dis pas plus.

Le secret des origines indiennes de Belette était jusqu’alors bien gardé, Mackie et ses soeurs l'avaient promis et ce secret les liait les unes aux autres.

 

  Il y a Mariette (Ayette), la grand-mère de Zoya. C'est elle qui, à 25 ans, a tué un homme. Toute sa vie elle fut marquée par ce meurtre et aussi l'autre évènement auquel elle assista toute petite au ranch de ses parents, un accident dont sa mère fut la victime principale. C'était en 1921 et Mariette avait 6 ans. À 20 ans Mariette n'avait rien de féminin et n'avait aucune envie de s'afficher avec un jeune homme. À 25 ans, Mariette tua effectivement un homme. À 32 ans, avec son frère, elle traversa l'océan pour rejoindre sa famille belge à bord du luxueux Queen Mary. Durant le séjour son coeur s'ouvrit enfin et ce qui devait arriver un jour .... Avec le cousin André Kraft, époux de Thérèse qui mourut prématurément. Et Mariette était enceinte d'André. Ils se marièrent. Louisiane montra le bout de son nez. Ce ne fut pas un mariage comment dire ... idyllique.

  Il y a Louisiane, la mère de Zoya. Qui passa une partie de son adolescence chez sa tante, sa mère étant retournée dans le Montana après le suicide de son époux. Louisiane ne revit sa mère que des années plus tard, lorsqu'elle se rendit dans le Montana. Louisiane découvrit la vie américaine de sa mère et apprit que celle-ci avait tué un homme. Louisiane prit conscience que sa mère était cette charnière qui avait fait migrer la famille vers l'Europe et que c'est à travers elle qu'elle ressentait ce sentiment de venir d'ailleurs. Louisiane refusa les études universitaires conseillées par sa famille et choisit la couture. Elle aimait son célibat, l'amusement, la liberté. Elle arriva à Trieste à 26 ans, en avril 74. Au service des Libotte, afin d'être à temps-plein la baby sitting de leur fille Béatrice. C'est là qu'elle rencontra Vladimiro, un artiste. C'est là aussi qu'elle renoua avec sa mère Mariette venue de Belgique jusque Trieste pour partager le bonheur de sa fille. L'intimité et les rapports mère-fille se consolidèrent. Louisiane, déçue par sa vie de couple revint en Belgique et Zoya naquit là. Quelques années plus tard, Louisiane rencontra Édouard, avec qui elle vécut des moments très heureux, mais clandestins.

  Et Zoya remonta ainsi la rivière des mères et des filles. Zoya est mariée, enseignante, et mère de trois enfants. 

  J'ai refermé ce livre hier soir. Ce matin, il m'émeut encore. Toutes les familles se ressemblent. Dans chacune d'elle, des femmes ont vécu en couple. Ou pas. Des femmes libres, des femmes soumises ou qui simplement acceptent leur solitude au nom de l'Amour. Des enfants naissent à l'issue d'un mariage conventionnel. Ou hors mariage. Et sont aimés quand même. Édmée de Xhavée nous racontent tout ça avec la plume qu'on lui connaît. Tout au long de ces récits de vie, nous vivons aux côtés de chacune de ces femmes. Nous regardons Belette réaliser des bijoux avec des dents de castor. Nous caressons en même temps qu'Énimie les cheveux de sa fille née d'un moment d'égarement avec Albrecht. Nous sommes dans le Montana avec Mackie et nous comprenons sa solitude mais aussi sa joie lorsque son Grizzly de mari volage pointe son nez. Avec Ayette, nous traversons l'océan et nous comprenons très bien son attirance pour André Kraft. Louisiane, nous aimons sa liberté, son départ vers Trieste. Nous sommes là, nous partageons chacune des vies de ces femmes.

L'écriture d’Édmée de Xhavée nous transporte bien au-delà de nous-mêmes, sans doute aussi sur les pas des femmes de notre famille, les mères de nos mères. 

Je voudrais que ce livre ne dorme pas dans ma bibliothèque.  Il mérite une deuxième vie. Et bing, j'ai une idée. Affaire à suivre. 

Carine-Laure Desguin

http://carineldesguin.canalblog;com

 

Publié dans avis de lecteurs

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C
Cette généalogie qui me semble passionnante, mais bien compliquée, bénéficie d'une clarification utile grâce à cette note. Ce récit qui parait vivant et plein de rebondissements est rapporté avec enthousiasme ! Bravo à Edmée pour ce récit et à Carine-Laure pour cette note de lecture magistrale !
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C
Jamais trop facile les généalogies. Mais le livre est bien découpé. Chaque vie de femme est introduite par quelques mots de Zoia et puis ensuite c'est la femme elle-même qui prend la parole. On est donc plongé au sein même de la vie de chacune d'elle. Bel aprèm chère Christina!
J
Un bel enthousiasme...<br /> Je connais l'écriture d'Edmée et je sais qu'elle est très belle et vivante.<br /> Bravo à Edmée et à Carine-Laure pour cette note de lecture alléchante...
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E
Merci Joel :)
C
Merci ami/auteur!
M
Merveilleuse note de lecture ! Bravo Carine-Laure ! Bravo Edmée !
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E
Merci Micheline... Je dois admettre que la note de lecture est valorisante!
C
Un livre passionnant!
E
Un énorme merci pour cette note de lecture bien à toi, on dirait que tu as pris le TGV, et j'en suis ravie!!!
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C
Ah ah oui le TGV en effet, mais une fois commencé on ne lâche plus ce livre, les histoires de ces femmes sont passionnantes. Dimanche j'assiste à une causerie philo au sujet de la généalogie, je prendrai le livre avec moi au cas où je pourrais placer un mot. J'avais envoyé un mail au site Réveilleurs d'histoire mais pas encore de réponse, personne ne s'est éveillé!
C
Petite erreur de ma part, il faut lire Belette et non Marie, mille excuses, Edmée de Xhavée!
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E
Mais certainement tu as si bien rendu le fil échevelé de l'histoire - les histoires! - que plus personne d'ailleurs ne se préoccupe de savoir le vrai nom de notre Belette.... Tu as saisi le tourbillon des existences qui risquent, parfois gagnent, parfois perdent, mais sur la "lignée"... c'est du gagnant!
P
Ah ! Carine-Laure regorge d'idées et a l'énergie qu'il faut pour les mettre en œuvre. Attendons donc la suite des événements. <br /> L'écriture d'Edmée n'est plus à présenter, elle nous enchante depuis des années ! <br /> Une très bonne analyse de Carine-Laure en tout cas !
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E
Merci pour ton appréciation, Philippe!
C
Merci Phil mais ne me parle pas d'énergie en ce moment, je suis out.