Tiens, tiens... Mais qui a écrit ce texte ???? J'attends vos avis éclairés ! Réponse demain soir !
Entrez dans la danse…
Les mains moites et le front nimbé d’humidité, l’auteur s’avance, son cher manuscrit serré sur la poitrine. Son œuvre. Ses confidences codées, ses accusations déguisées, ses frustrations et désirs par personnage interposé, tout est là. Il regarde avec une lueur tremblante dans les yeux l’imposante façade où un savant logo souligne d’une flèche lumineuse l’enseigne de la maison d’éditions : Choré-Délices.
Il pousse une large porte de verre, a un hoquet de respect devant le jardin tropical de l’entrée, léché par un filet d’eau. À la réception, une élégante brune en uniforme armorié de l’enseigne lui sourit. Un accent méridional achève d’écraser l’auteur, presque titubant devant cette accumulation de charme et de bon goût. L’apparition souriante fait mine de ne pas prendre note du fait que l’auteur, hypnotisé comme au sortir d’une entrevue de cinq heures avec un gourou, bafouille, cafouille, farfouille et finit par arracher les premières pages de son manuscrit à cause d’une crise de tremblotte. « Ne vous eng faiteuh pas, ils sont tous commeuh vous la premièreuh fois ! La secrétaireuh de Florang, notre présideng, vous atteng au premier étageuh, porteuh de droite ».
Épouvanté par l’ascenseur dont il se demande s’il faut un code, une empreinte de l’iris des yeux, de la paume de la main, ou rien, il décide de gravir les escaliers – au tapis décoré du logo, ça va sans dire – à pied, et frappe nerveusement à la porte indiquée, sur laquelle luit une plaque de cuivre rutilante : Madame Caprine de Seguin. À son invitation à entrer, il se trouve nez à nez avec une rousse en shorts et pelisse d’astrakan, cigare au bec, casquette de vinyle, cuissardes à revers. Aimable comme tout. Le pauvre auteur, à ce stade, bégaye et danse d’un pied à l’autre. « Vous devez vous rendre à l’isoloir, peut-être ? » « Noooooon, noooooon… je venais soumettre mon manuscrit ! » « Oui, ça je me doutais que vous n’arriviez pas de Houte-si-Plout juste pour venir dans notre isoloir. Vous avez un peu de temps devant vous ? C’est pour avoir l’avis de notre comité de lecture, ça prendra un chouïa de temps à peine… ». Il se sent infiniment bête, d’autant que là, avec toutes ces émotions, il irait bien dans l’isoloir, mais il ne tient pas à passer pour un idiot, en prime. Pas à 100% du moins…
Madame Caprine de Seguin se dirige avec l’allure d’une garde impériale vers une pièce attenante, où quatre femmes au visage violacé lisent à toute allure, haletantes, une bouteille de deux litres d’eau minérale – ou Vodka ? - à portée de main. « Vous avez rendu votre verdict pour J’étais une tueuse en série que je vous ai donné il y a une heure ? L’auteure attend… ? Oui ? Parfait, voici un autre manuscrit, l’auteur vient de Houte-si-Plout et donc il faudrait aussi le lire en urgence ». Horrifié, notre auteur en état presque cataleptique voit que l’on arrache la reliure de son précieux ouvrage et qu’on en fait quatre paquets égaux, que les lectrices commencent aussitôt à scanner des yeux et annoter.
Alors qu’il sort pour rejoindre, au rez-de-chaussée, la salle d’attente – où l’auteure de J’étais une tueuse en série est en larmes suite au refus de publier ce recueil de fautes d’orthographes – il s’assied, penaud, secoué, n’osant pas poser les yeux trop ouvertement sur le luxe qui l’entoure. L’auteur refusée pour avoir tué grammaire et syntaxe en série se lève brusquement et s’adresse à lui avec force de tourniquets de bras : Ce sont des minables ! Ils n’y connaissent rien ! S’ils sont si doués, pourquoi ils ne me les corrigent pas, hein, les fautes ? C’est le fond qui compte, pas la place et le nombre des lettres, que d’ailleurs le correcteur automatique peut faire tout seul. Ils sont nazes ! Je sens que ma série de crimes n’est pas finie, tiens. Je vais aller la secouer, la bimbo marseillaise de l’entrée !
Sortant de son sac un hachoir de cuisine assez rouillé, elle part à grandes enjambées vers la réception d’où s’élève un cri surpris : Mais qu’est-ce que c’est queuh cetteuh fadade ? tandis que l’aimable dame à présent mécontente se lève en position de combat. Elle est petite et ses narines fument, l’auteure ressemble à une longue échelle en furie, et notre pauvre candidat auteur en attente du verdict du comité de lecture retient son souffle (et pas que, car l’isoloir commence à lui manquer…). La tueuse en série est promptement jetée au sol avec un haaaaaaaah, la joue transpercée par le talon aiguille de la réceptionniste qui rajuste son tailleur, essuie le sang de sa chaussure en appelant Florang, Florang !!!
Un homme beau comme on n’en fait plus (un bon éditeur, ça se flatte, sorry) et d’un sang-froid incomparable émerge, très cool, de l’ascenseur dont jaillit joyeusement la marche 1 de Pomp and Circumstance. Quel chic, pense notre auteur terrifié. Un coup d’œil de Florant von Mastic, l’éditeur en personne, lui résume toute la dernière minute. Pfffft, il faudra faire nettoyer le tapis. Et se penchant sur l’auteure dont toute la mâchoire de droite est à nu avec la peau déchiquetée et pendouillant, lui demande aimablement : Faut-il vous appeler un taxi ou vous reprenez le bus ? Vous ne pouvez pas conduire dans cet état, je ne sais pas si vous avez remarqué que votre épaule et votre clavicule sont démises.
Du haut de l’escalier un joyeux Hou hou retentit, et une voix enjouée annonce : l’auteur de Tout est bon dans le cochon, de Houte-si-Plout est encore là ? Nous avons à peine commencé et sommes conquises, c’est OK !
Florant se tourne vers lui, suivant du coin de l’œil la tueuse en série qui rampe vers la sortie en bavant, et, lui souriant – d’un sourire éblouissant -, lui tend la main et l’invite : Venez donc dans mon bureau pour signer votre contrat. Bienvenue à Choré-Délices, entrez dans la danse !