Christina Prévi vous propose un extrait de « Un soir de lune » (Extrait de son recueil Parenthèses singulières)

Publié le par christine brunet /aloys

 

Félix n’ouvrait plus la porte, il s’enfermait chez lui, inconsolable. Chaque soir, il replongeait dans un abîme sans fond. Ses amis avaient essayé de l’en sortir, son jeune frère avait tenté de l’associer à son bonheur. Il n’espérait pas un oubli total, mais qu’au moins son frère retrouve, si possible, du goût pour la vie de famille. Il aurait aimé partager sa joie avec lui, devant le babillage de son petit garçon de 9 mois.

 

Peine perdue, Félix s’enfonçait dans la mélancolie, et ce, depuis ce funeste accident et personne ne pouvait l’en extraire. Sa femme Leslie et leur fillette de deux ans lui avaient été arrachées et cette réalité-là était irrémédiable. Il ne leur parlerait jamais plus, n’enfouirait plus son visage dans leur chevelure. Au seul souvenir de leur doux parfum, il ressentait atrocement cette double absence.

 

Sa vie n’avait plus ni saveur, ni intérêt et rien ne le reliait au présent. Après le drame, il avait été abruti de calmants pour ne pas hurler sa douleur, continuer à respirer, tout simplement… Une mort de plus aurait été insoutenable pour ses proches, on avait du l’en convaincre ; ses chères disparues, auraient-elles apprécié de le voir se détruire ? Dans le cas inverse, n’aurait-il pas souhaité que Leslie survive à sa peine ? Félix s’était rangé à la raison et faisait bonne figure…

 

Chaque soir, il replongeait dans un douloureux hébétement. Il ne s’éclairait plus, n’ouvrait à personne… Il cultivait son isolement dans la pénombre, devant le fauteuil rouge du salon, où trônait une photo de Leslie. Il la revoyait, lovée dans ce siège, du temps ou elle nourrissait encore Lilla au sein. Et à droite du fauteuil, sur la chaise d’enfant, un portrait de la fillette était appuyé au dossier.

 

Sitôt la porte refermée, Félix lançait d’une voix creuse : « Bonsoir mes chéries ! » Il allumait la veilleuse, s’asseyait face à leur image et leur faisait la conversation, il buvait un verre d’eau, oubliait parfois de manger, s’endormait sur place, y passait la nuit… Au matin, il refaisait les gestes routiniers, indispensables pour tenir debout : se doucher, se changer, un café, une biscotte, les clés « Au revoir mes chéries ! »

Il mettait le contact, se rendait au boulot. Il honorait ses tâches et répondait aux questions, il ne brillait ni par zèle ni par négligence. Il s’éteignait lentement, faisait juste ce qu’il devait, ce qu’il fallait, rien de plus, rien de moins.

Publié dans Textes

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E
Ca commence en douleur, bien exprimé, j'espère que la lumière vient en fin de compte!
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C
Ce recueil sera chroniqué pour la prochaine émission d'ActuTV ;-)
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M
Une bien triste histoire.
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C
Une triste histoire très bien racontée.
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