Un interview de Vincent Knock pour la sortie de son nouvel ouvrage "Le début de rien"

Publié le par christine brunet /aloys

Chloé des Lys : Vincent Knock, votre premier livre, « Le début de rien », vient de paraître dans une nouvelle publication aux éditions Chloé des Lys. Quelle est son histoire ? Comment est-il né dans votre tête ? Comment l'envie de l'écrire vous est-elle venue ?

Vincent Knock : Le début de rien raconte les histoires croisées de personnages en couleurs, tapis dans des corps nébuleux et englués dans des existences répétitives mais avec des rêves. Nouant tour à tour des rapports schématiques autour des bacs des disquaires, des distributeurs à café, dans des couloirs sans fin, des appartements étriqués ou des salles de concerts dans la grisaille lilloise. Autant de points de passages, existentiels, captant les individus comme des êtres en mouvement mais toujours guettés par l'inertie définitive. Avec en toile de fond des histoires d'amour contrariées, des quêtes éperdues pour obtenir un tant soit peu de reconnaissance dans un siècle finissant. Mais le thème central du livre est la difficulté à entrer dans le monde adulte avec tout ce qu'elle implique de compromis. Voilà pour le décor !   

L'impulsion pour écrire ce roman m'est venue assez tard. Disons qu'ado je n'écrivais pas et je lisais assez peu, je me disais tous le temps que ce genre de connerie n'étaient pas pour moi : s'enfermer délibérément pour s'avaler un pavé de plusieurs centaines de pages m'apparaissait suspect. Je passais le plus clair de mon temps à jouer dans un groupe de musique (pour l'aspect créatif) où à faire du skate-board (pour le côté sportif), souvent avec les mêmes potes. Et puis comme les groupes ne sont pas fait pour durer, je me suis retrouvé seul à ruminer dans mon coin. C'est à ce moment là que j'ai commencé à lire comme une brute, avec le sentiment que j'avais pris vachement de retard. Comme j'étais en fac, j'avais beaucoup de temps pour moi. J'ai écris deux romans historiques sur l'Allemagne des années 30, à mon goût trop marqués par ce qui faisait déjà et qui a suscité une mauvaise réaction d'un éditeur connu. J'ai donc passé du temps à chercher mon sujet.

Entré en institut de formation des professeurs après plusieurs années de vie active je me suis trouvé confronté à une génération qui n'était plus la mienne. Nous avions grandi avec « Star Wars » et Atari et eux ne juraient que par « Harry Potter » et Playstation. Certains profs stagiaires avaient dix ans de moins que moi avec leurs propres références culturelles, un langage commun, complètement décomplexés et prêt à bouffer de la vie. De quoi vous filer un sacré coup de vieux.  Je voulais donc évoquer cela avant de tourner la page. Comme quand on fait le tour d'une chambre d'hôtel une dernière fois, pour voir si on n'a rien oublié, avant d'éteindre la lumière et de refermer la porte derrière soi.

 

 

Chloé des Lys : A-t-il été difficile de se retrouver devant une page à remplir ?

Vincent Knock : Disons que tout travail d'écriture nécessite de nombreuses recherches, lectures, notes, trame à suivre, etc. Je ne pars pas de rien. Je connais parfaitement l'endroit où je veux arriver. Reste le voyage entre le premier mot et le dernier qui reste, pour moi, un peu mystérieux. J'écris surtout le matin, très tôt, pour me dire que j'ai du temps. Je n'ai pas de rituel. Disons seulement que j'écoute de la musique pour empêcher d'entendre le ronron de mon ordinateur portable.

 

Chloé des Lys : Au fil des chapitres, vous mettez en scène une jeunesse désabusée. Vous décrivez sa vie avec justesse, entre la fac et les bars, les appartements mal rangés et les concerts, les amourettes et la vie de famille. D'où tirez-vous cette connaissance du jeune ? Est-ce un revival de vos années fac ?

Vincent Knock : Même si les premiers romans « empreintes » pour ainsi dire beaucoup à l'expérience personnelle d'un auteur, le début de rien n'est en aucun cas une autofiction. Le traitement des portraits de chacun des personnages masculins ou féminins, avec l'utilisation de détails révélateurs  pour leur donner des implications symboliques et philosophiques contribue largement à donner à l'histoire une dimension existentielle universelle. 

Mes thèmes de prédilections étaient : la nostalgie, le souvenir de jeunesse omniprésent, la force des sentiments ou la décrépitude. Je voulais écrire une  sorte de « livre sur rien » cher à Flaubert, d'ou le choix de mon titre. Car à cet âge avancé de l'existence, on passe plus de temps à chercher quelque chose même si on ne sait pas vraiment quoi. Je pense que les vies cabossées de ces héros pourraient n'avoir aucun intérêt si elles ne faisaient tant échos par certains aspects à la vie de chacun d'entre nous. Nos fameuses années de jeunesse « qui comptent double ou triple » et nous renvoie à un passé qui nous habitent pour toute une vie.

 

 

Chloé des Lys : Vos personnages ne vivent pas d'aventures extraordinaires. Ils n'entretiennent pas de relations complexes. Ils se laissent porter par leurs aspirations et par leurs désirs, jour après jour. Cette culture du normal et du quotidien, qu'on perçoit dans vos écrits, cela semble vous faire dire que personne ne devrait être obligé d'être exceptionnel, de faire de grandes choses. Qu'en pensez-vous ? Croyez-vous qu'il existe une sorte de pression sociale à l'exploit ?

Vincent Knock : C'est l'éternel dilemme : Vaut-il mieux être acteur de sa propre existence au risque d'aller au devant de grave déconvenue où au contraire se préserver en se contentant d'en rester un simple spectateur ? De nombreux blogs encouragent l'individu assoiffé d'amour que nous sommes tous un peu à faire étalage de son quotidien banal à souhait, l'universalisant du même coup. Et les commentaires de nombreux êtres tout aussi esseulés où paumés reçus quotidiennement achèvent de vous convaincre que vous êtes quelqu'un de spécial qui gagne à être connu. Pourtant tout ça n’est qu’une illusion. Le philosophe Clément Rosset l'a très bien démontré dans le réel est son double : l'homme tente le plus souvent de fuir le réel, lui préférant la fabrication d'un autre monde pour ne pas voir celui qui est donné à voir. Echapper à la réalité commune et sensible de l'existence en s'inventant une nature virtuelle jugée plus importante. Cet état de fait est encore plus criant chez les jeunes qui connaissent les technologies depuis toujours à la différence des générations précédentes qui les ont découverts au sortir de l'enfance. Leurs maîtrises pour les jeunes en est innée et non acquise. Enfants de la « bulle internet » en quelque sorte. Les jeunes ne s'étonnent d'aucune réussite, rien ne les inquiète. D'ailleurs, la réussite ne passe plus forcément par un apprentissage long et laborieux. Pire, l'exploit est plus remarquable encore s'il n'a nécessité que peu d'efforts, de temps ou de contrainte pour atteindre sa cible. Cela touche de nombreux domaines : en littérature avec des auteurs affichant fièrement leurs quinze ans comme principal argument de vente où en musique, avec le phénomène des bébés-rockers, par exemple. Au contraire, plusieurs personnages de mon livre sont hantés par la question du sens à donner à tout ça, cette course effrénée à la réussite signifie-t-elle vraiment quelque chose ? Comme l'affirme l'un d'entre eux : nous sommes la génération dont les parents ne sont pas satisfaits [...] malgré leurs deux voitures, deux enfants, une maison individuelle avec jardin ou une moto. Ce livre est aussi là pour ça : rappeler que la vie ne se résume pas à une histoire de train qu'on doit forcément prendre en marche sous peine de rester à quai, où à la traîne des autres. Refuser cette alternative c'est déjà choisir.    

 

 

Chloé des Lys : On ne peut pas dire que les personnages aient des repères stables. Ils aspirent à devenir mannequins, à investir le monde souterrain. Leurs idoles sont des métalleux. D'aucuns diraient que ces jeunes sont perdus, mais pas vous. Ils vivent quand même, ils se construisent quoi qu'il arrive, et deviendront des adultes comme les autres. Croyez-vous qu'il est dans la nature des aînés de critiquer la jeunesse ? De s'inquiéter à l'idée que leur monde sera demain en de telles mains ?

Vincent Knock : Il est dans la nature de la jeunesse de se construire en réaction à la culture de ses aînés. Les ruptures sont alors plus ou moins marquées selon les milieux socio-culturels, c'est certain. Même si il est toujours intéressant pour une génération d'écouter les messages et valeurs véhiculées par les générations qui l'ont précédées, le propre de la jeunesse est de réinventer les cultures antérieures, de se les approprier en les mettant parfois à mal, pour que de ce terreau naissent de nouveaux modèles qu'ils soient sociaux, culturels ou économiques. A ce propos, l'exemple de l'industrie musicale qui n'a pas su amorcer son virage économique suffisamment tôt est particulièrement évocateur des craintes adultes pour cette culture jeune.   

 

 

Chloé des Lys : Visiblement, vous connaissez bien la scène lilloise, en plus de vous intéresser à la musique. Qu'en pensez-vous aujourd'hui ? Est-ce que vous conseilleriez Lille à un groupe qui veut se lancer ? Y a-t'il selon vous un style mieux représenté que les autres  à Lille ?

Vincent Knock : Beaucoup de choses souvent très différentes peuvent s'écouter de ce côté de l'hexagone. La scène lilloise avec ses bars-concerts du vieux Lille ou du quartiers Moulins a fait les beaux jours d'une scène pop rock anglaise aux débuts des années 90, avant de quasiment disparaître au profit de formations plus métalleuses au tournant du siècle. Aujourd'hui, la scène rap régionale est active. Mais curieusement, aucun formation régionale, quel que soit le style, n'a réussi à percer sur le plan national. Lille reste tout de même un endroit intéressant pour en découdre musicalement. Avec des températures fraîches même en été, son éternel rideau gris de nuages, il est certain qu'on aspire plus à s'enfermer dans une cave de pub pour s'éclater les tympans à coups de riffs de guitares que de subir les assauts répétés en terrasse d'une pluie lavasse dans son verre.   

 

 

Chloé des Lys : Maintenant que ça y est, que le livre est publié, qu'est-ce qui vous passe par la tête quand vous revenez sur cette aventure ?

Vincent Knock : Je me dis que ce qu'il y a de plaisant avec une publication c'est que ça arrête définitivement le processus créatif et qu'on va pouvoir se consacrer à autre chose. Même si on pense qu'on aurait pu écrire ceci ou cela d'une manière différente, retoucher un mot, une virgule, il faut savoir s'arrêter. Le livre publié signe un arrêt, comme une petite mort où une petite naissance, c'est selon.

 

 

Chloé des Lys : Vous souhaiteriez publier à nouveau ? Peut-être avez-vous déjà un projet en tête ?

Vincent Knock : Je viens de terminer l’écriture d’un troisième polar en nord Junior et je suis en train d’écrire la suite du thriller Une nuit à tuer et la suite de Le début de rien. J’ai envie de retrouver mes personnages pour découvrir ce qui leur arrive à chacun après toutes ces années. Deux satires sur fond de roman noir mâtiné de polar dans la veine de Raymond Chandler, pour l’un et de roman noir fantastique à la Stephen King pour l’autre.    

Ces textes pourraient être des illustrations d'une citation de Christian Authier, un auteur journaliste que j’apprécie beaucoup  « Il est de certains êtres comme de certains pays, on n'en revient pas ». Je crois que je suis parfaitement d'accord avec lui.

 

Chloé des Lys : À vous le mot de la fin

Vincent Knock : Il en est également de certains livres comme de certaines rencontres, la promesse d'un autre chose. Même si je place plus de confiance dans la fiction.  

 

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M
J'apprécie beaucoup la manière de se livrer de Vincent Knock lors de cet interview.
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