Carine-Laure Desguin nous livre son texte écrit pour AURA 115 dont le thème était LE CERCLE
De mal en pis
Vous me convoquez. Je réponds positivement malgré la montagne de boulot que je dois attaquer d’un moment à l’autre. J'attends dès lors depuis trente-cinq minutes dans une salle non chauffée qui ressemble à un cube vide. Un 24 novembre à dix-huit heures. Et à présent que je suis face à vous, monsieur ? monsieur ? monsieur le commissaire ? je ne connais pas plus la raison de ma convocation que votre nom ou votre grade. Vous pianotez sur votre ordinateur les infos que vous lisez sur ma carte d’identité via un autre ordinateur. Mon groupe sanguin, ça vous intéresserait de le connaître? Et mon ADN, ça vous dit ?
Ne vous emballez pas. C’est compliqué.
Compliqué ? Expliquez-moi alors.
Votre carte d’identité.
Je l’ai renouvelée à temps.
Oui. La date est correcte.
Vous vous moquez de moi !
Pas vraiment, non. Steve Raf, vous connaissez ?
Oui, c’est moi !
Votre carte d’identité, une fois introduite dans le décodeur, signale que vous vous appelez Paul François.
Ah ah ah, je suis écrivain. Steve Raf, c’est mon pseudonyme ! Parce que Paul François, c’est pas … vous comprenez.
Non, je ne comprends pas, monsieur François.
Steve Raf, ça donne une touche amerloque. J’écris des romans policiers, vous comprenez, alors les meurtres qui pullulent et le sang qui pisse, ça me connaît.
Ça tombe à pic.
Ah ?
Vous ne comprenez toujours pas ?
Arrêtez de tourner en rond et soyez direct. Du boulot m’attend, je ne suis pas un glandeur moi monsieur.
C’est au sujet du meurtre. Dans cet appartement juste au-dessus du vôtre. Le meurtre de cette veuve, madame Crépillon.
Tout ce que je sais je l’ai dit mille fois. J’étais absent à cette période-là. Je ne peux rien dire de plus. Je ne connaissais pas cette dame. Et puis, cette histoire est révolue, jetée aux oubliettes. Trois mois, ça fait bien trois mois que cette pauvre dame mange les pissenlits par la racine.
Expliquez-moi alors comment un tapuscrit signé Paul François se trouvait dans le coffre de la victime. Dans le coffre d’une banque que je ne vous citerai pas.
Vous plaisantez ?
J’ai l’air de plaisanter ? Et puis, dites-moi, vous aussi vous tournez en rond. Vous dites ne pas connaître la victime. Un tapuscrit signé Paul François est découvert dans le coffre de cette victime. L’histoire, je l’ai lue. Elle mentionne le nom d’Yvonne Crépillon, justement. Yvonne Crépillon, assassinée lâchement. Par un hula-hoop tourné 314 fois autour de son cou. Et, vous ne l’ignorez pas, la victime a été étouffée de cette façon. Je continue ?
Je ne comprends pas. Je n’ai pas écrit cette histoire. Je m’en souviendrais quand même !
Soit. Demain matin, une perquisition aura lieu chez vous. J’attendais autre chose de vous lors de cet entretien. Pour un écrivain, vous manquez d’imagination, vraiment. Et vous ne me demandez même pas le titre de ce livre. C’est qu’alors, vous le connaissez, non, ce titre ?
Non, je suis comment dire … éberlué d’apprendre tout ça. Le titre ? Quel est le titre de ce livre ?
Sans doute un titre provisoire car non pas écrit sur une ligne droite mais écrit sur la circonférence imaginaire d’un cercle, écrit en rond quoi.
Un cercle dites-vous ?
Oui, étrange n’est-ce pas ?
Mais quel est ce titre, putain, quel est ce titre ?
Il faut tourner la tête pour lire ce titre, presque se la dévisser.
Putain, quel est ce titre ?
Trois virgule quatorze.
Trois virgule quatorze ?
Oui, Trois virgule quatorze.
Je pensais à un autre titre, diamétralement opposé.
Et vous semblez en connaître un rayon, malgré tout. Étrange tout ça.
Carine-Laure Desguin
http://carineldesguin.