"R.I.P. Dylan", un texte signé Carine-Laure Desguin

Publié le par christine brunet /aloys

R.I.P. Dylan

 

   Sympa cette invitation. Vrai qu'on a besoin de décompresser toi et moi. Sans cesse sur la touche. Afficher vingt-quatre heures sur vingt-quatre le meilleur de soi, le sourire ultra-brite, la belle gueule bronzée et tutti quanti. Y’en a marre parfois. Plein le cul de ces jours et de ces nuits à rallonge. Pas vrai, Davy ?

 

   Je me disais la même chose, Éthan. On ne pense même plus à soi. On n’a plus le temps ! Quel métier de merde. Et on doit se dépêcher, on ne reste pas mannequin éternellement. Notre vie professionnelle passe comme un éclair. De ton côté, les semaines passent et tu n'oublies pas Dylan, j'en suis certain. Comment pourrait-on oublier un tel beau gosse ? Suis direct comme ça, mais son image me traverse encore l’esprit à chaque fois que je te croise.

 

   Eh oui, Dylan m'accompagne partout où je vais. C’est obsessionnel. Mes pensées ne décollent pas de lui, ses gestes, ses attentions. Deux ans passés ensemble, ça ne s'efface pas comme ça. J'ai même envie de changer d’appart, chaque pièce me rappelle Dylan, je sens encore son parfum partout dans la salle de bain, partout, je te dis, partout. Rester à Montmartre, oui, mais plus ici rue Blanche. Je ne peux plus voir cette fenêtre. Je n'oublierai jamais cette nuit-là. En parler me donne le frisson. Je n’ai plus jamais remis les pieds sur le balcon, c’est impossible, ces quelques mètres carrés bétonnés me paralysent. 

 

   Étrange quand même que ce geste. Dylan avait tout pour lui. La beauté surtout... Et il venait de décrocher un contrat fabuleux. 

 

   Ah. Tu savais ça?

 

   On bosse tous dans la même agence. Les nouvelles vont vite. Lui et moi on se parlait. Parfois ... il me confiait des trucs. 

 

   Des trucs? 

 

   Ben oui quoi des trucs. Entre mecs ... 

 

   Entre mecs ? Je sais pas trop... comment dire ... je me sens mal à l'aise tout à coup.

 

   En effet. Tu peux l'être. 

 

   Ah bon? Et pourquoi ça? 

 

   Cette invitation n'est pas anodine. Toi et moi, on s'aime pas, tu le sais très bien. Notre vision du boulot est différente. Toi tu veux tout et tout de suite. Vrai qu'être mannequin, c’est capturer l’instant. On n’aura ni la jeunesse ni la beauté jusqu’à nos cent ans. Alors faut faire vite d’après toi, très vite. Par n’importe quels moyens, surtout. Pas vrai ?

 

   Je comprends pas.  

 

   Tu te trompes. Tu me comprends très bien. D’ailleurs, tu transpires, vieux, tu transpires. Mon silence se monnaiera. Ou pas. Toi et moi, on est là pour ça. 

 

   Je comprends vraiment pas, Davy. 

 

   Réfléchis, Éthan. C'est trop hard pour toi? 

 

   Tu insinues quoi là ? 

 

   Ton mec se confiait à moi. Tout simplement. Il m'a montré ses hématomes, de véritables œuvres d’art, tu sais. Et puis, il s’est épanché, il a parlé. Il n’en pouvait plus de toi.

 

   Il n'est pas mort de ça à ce que je sache. Ces coups-là, ça date ... 

 

   Dylan crevait de peur. Un soir, il m'a dévoilé de nouveaux hématomes. On les a filmés. On a enregistré son témoignage. Les coups, les humiliations que tu lui faisais subir, tout quoi.  Il a vidé son sac. Il sanglotait, il était à bout.

 

   Rien ne prouve que je l'ai défenestré. C’était connu, Dylan était dépressif. Il bossait trop. Ce travail de mannequin et les photos pour les magazines, c’était full time. Et moi, de toute façon, j'avais un alibi pour cette nuit-là. 

 

   Un alibi bidon. Il sera bien vite détricoté ton alibi à la con quand les flics entendront mon témoignage et décortiqueront les vidéos. 

 

   Et pourquoi j'aurais tué cet incapable, cette larve ?

 

   Voilà, tu le dis toi-même, tu le croyais incapable. Et même pire que ça. 

 

   Explique-toi, Davy. Au point où on en est … Pourquoi je l’aurais buté, ce bel ange ? Parce qu’il s’envoyait en l’air avec toutes les tantoozes du quartier ? Parce qu’il posait pour des magazines pornos ? Un crime passionnel d’après toi ? Ah ah ah, laisse-moi rire … 

 

   Ton mobil était bien plus crapuleux que tout ça, Éthan !

 

   Tu délires à fond la caisse. 

 

   Depuis plusieurs semaines tu lui reprochais d’avoir fait exprès de louper les photos de ton book. Et donc de passer à côté d’un contrat mirobolant. Contrat que lui, Dylan, avait raflé haut la main. Tu me suis, là ? 

 

   D’après toi j’aurais buté ce trouduc pour des photos zappées ? 

 

   Tu as tellement soif de gloire et de pognon, pauvre mec. Regarde-toi, tu me fais pitié. Comment Dylan a pu tomber raide dingue de toi. Tu n’es qu’une lavette.

 

   Et pour ton silence, c’est combien, mec ?

 

 

Carine-Laure DESGUIN

 http://carineldesguin.canalblog.com/

 

 

Publié dans Textes

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A
Petit crime entre gravures de mode... Quelle élégance !
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C
Merciiii !
M
Un texte très vivant et cruel. Bravo, Carine-Laure !
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C
Merci Micheline. Je me lâche souvent dans les textes pour AURA.
E
Oh les jalousies pernicieuses, les férocités du métier et de l'amour, tout ça au petit déj et signé Desguin, je bois du petit lait (dans mon café)...
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C
N'étrangle pas hein ...
P
C'est toujours un plaisir de lire un texte de notre miss Charleroi à l'imagination débridée...
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C
Merci Philippe, la source commence à s'épuiser!