Ani Sedent nous propose une nouvelle en 4 actes ! Les aventures capillotractées de mademoiselle Camélia Tuemouche. Premier épisode : Le grabi
Jamais, au grand jamais, mademoiselle Camélia Tuemouche n’avait imaginé se retrouver un jour dans un tel embarras. Il est vrai que sa condition de troisième camerlinguette, qu’elle n’avait pas recherchée mais qui lui était tombée dessus comme une buse sur un mulot, était encore trop récente pour qu’elle soit déjà habituée à ce douteux privilège de seconde vue, aux effets aussi verts que peu mûrs, inhérent à la fonction. Et bien sûr, ses deux consœurs avaient brillé par leur absence lorsque, ce matin-là, émergeant de sa chambre enroulé dans une de ces choses soyeuses et chamarrées qu’il affectionnait tant, le Grand Truc Bozzo avait exigé un grabi ! Un grabi ? Qu’est-ce que c’est que ça ? s’était inquiétée la camerlinguette avant que le Grand Truc affirme qu’il s’agissait d’une chose tout à fait ravissante et très utile.
Ignorante de ces choses merveilleuses dont raffolait Sa Sublimissimité et qu’il découvrait dans ses sommeils artificiels, mademoiselle Camélia Tuemouche s’était donc renseignée sur cette nouvelle lubie. Malheureusement, l’aridité du terrain des connaissances qui caractérisait les labyrinthiques couloirs du palais s’étant montrée à la hauteur de sa réputation ‒ et bien plus encore ‒ elle n’avait trouvé personne pour éclairer sa pauvre lanterne. Néanmoins, le tortueux fossile possédait une relique des temps passés, que la camerlinguette évitait habituellement de fréquenter mais qui, cette fois, s’était honteusement imposée comme seule source d’éclairage. C’était une vielle chose, un imbroglio de tuyaux, rouages et rivets, qui ronflait et fumait depuis une éternité au fond de son cagibi. Mademoiselle Camélia Tuemouche détestait tout particulièrement sa manie de vous fixer avec son gros œil, qui faisait comme une vilaine protubérance verdâtre sur son ventre vrombissant, mais les désirs du Grand Truc étant des ordres elle s’était résolue à braver le dragon dans son antre. Houlette Placard ‒ c’était son nom ‒ avait longuement bourdonné puis, entre deux chuintements et quelques hoquets, avait craché l’image un peu floue d’un curieux… euh… machin.
Les mains en coupe autour de ses joues, la camerlinguette avait réalisé, horrifiée, qu’elle allait devoir se rendre en Extérieur ! En traînant les pieds, elle avait rejoint sa chambre, avait remplacé ses chaussons de soie par des bottines à talons d’argent, avait mis ses mitaines en dentelle, sorti son haut-de-forme le plus ordinaire et pris l’ombrelle noire assortie à sa robe de taffetas. Elle s’était ensuite traînée jusqu’à la porte du palais, celle donnant sur le parvis et la cité en contre-bas. Née et ayant grandi en Intérieur, l’Extérieur la laissait toujours perplexe. Tous ces visages étranges, tous ces sons, toutes ces odeurs inconnues ! Cependant, aucun autre choix n’ayant eu le bon ton de se présenter à sa porte, elle s’en était courageusement allée dénicher le résultat des cogitations de la vieille Houlette.
Depuis le parvis, surgissant parmi un invraisemblable méli-mélo de tuyaux, la cité ressemblait à une hallucinante forêt de champignons aux chapeaux bleus et verts hérissés de cheminées qui crachaient des volutes de fumée rose. À l’abri de son ombrelle, mademoiselle Camélia Tuemouche avait rejoint les premiers bâtiments tout en réfléchissant au problème qui l’occupait, se demandant qui, parmi les habitants, allait pouvoir la renseigner ? Frissonnante, elle s’était enfoncée dans le dédalle de ruelles qui parcourraient la cité, était passée devant toutes sortes d’étals, où des personnes à la voix puissante l’avait interpellée de manière scandaleusement effrontée, de tavernes d’où s’échappaient des odeurs curieuses en même temps que des éclats de voix et de rires, jusqu’à rejoindre un quartier de petites boutiques aux vitrines prometteuses.
À suivre…