Texte 6 du concours "Disparitions/Fantômes du passé"

Publié le par christine brunet /aloys

LE FADO DES HEURES

 

« Je suis le spectre d’une rose

Que tu portais hier au bal. »

 

Théophile Gautier

 

Elle lui apparut quand vint l’heure bleue. Elle était assise sur le banc des amants dans l’allée des soupirs. Il se souvint de l’inconnue dans le Tunnel de l’Amour. Elle s’appelait Macha.

 

L’arbre de Vénus pleurait. Une de ses larmes rouge comme le sang tomba sur la robe de soie saphirine de la jeune fille. Elle devint, alors, un coquelicot dont chaque pétale étiolé fut emporté par le vent. L’un d’eux s’échoua dans l’amphore de la gardienne de pierre d’un cimetière oublié.

Lorsque des lucioles et des cigales jaillirent du noir azur, la muse reprit forme humaine. Parmi les tombes moussues, elle erra longuement avant de descendre dans une crypte.

Un chat la fixait entre les vitraux fêlés de la nuit. De quel temple égyptien venait ce doux félin que je vis, tout à coup, bondir sur le dais étoilé du ciel ?

Un corbeau vint se poser sur l’épaule d’une statue décapitée.

Une abbesse à demi-voilée flânait dans les allées, puis disparut, comme avalée par l’ombre d’un cyprès.

 

Le lierre nimbait le front des anges déchus qui saillissaient des murs d’une chapelle.

 

Des dames d’outre-tombe diadémées de violettes étaient agenouillées autour d’un immense crucifix et égrenaient leurs rosaires.

 

La porte des songes se ferma. Le poète qui s’était assoupi sur son écritoire, peu à peu, sortit de sa torpeur.

 

Dans le jardin du château, Macha enlaçait le saule de Babylone et murmurait des odes au rouge-gorge mort sous la neige.

 

Au loin, on pouvait voir l’antre de la titanide qui cachait dans son poing l’onyx merveilleux.

 

Macha s’avança jusqu’au bord de l’étang entouré de roseaux qui n’étaient pas encore en fleurs et voulut boire l’éternité aux lèvres du grand cracheur. Dans l’onde, le spectre d’une rose dansait. Ses épines couronnaient la tête de la pauvre Psyché semblable à un astre que des nuées d’orage ensevelissaient. Dans l’onde, le spectre d’une rose dansait…

Macha entendit le brame d’un cerf. L’hallali sonnait tandis qu’elle marchait entre les faux miroirs et contemplait la parade des planètes qui chatoyaient dans le ciel comme des émaux.

Un homme au chapeau melon se hissa, soudain, à la fenêtre du sombre firmament. C’est alors que la clef des songes tomba de la poche de la ténébreuse dont le mouchoir de soie s’envolait vers l’orangeraie où avait été enterrée la jarre de Pandore.

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E
C'est magnifique, onirique... parfait ! On voit les images, quelle atmosphère ! On est transportés !
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P
Quelle poésie ! Superbe!
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M
Je suis également d'accord avec le commentaire de Carine-Laure.
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A
Un texte qui dégage une vraie atmosphère poétique. Carine-Laure a raison, on entre dans une autre dimension!
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P
Carine-Laure m'enlève les mots de la bouche !
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C
Ah quand la poésie s'invite, une autre dimension apparaît.
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J
Un autre texte que j'aime beaucoup... Christine, j'imagine qu'on ne pourra pas voter pour 3 textes, hé hé...<br /> <br /> Bravo à l'auteur / autrice de ce texte.
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