Acte 1 concours "Fureur de lire, fureur d'écrire" - Texte 7
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Ce jour-là, fuck les galettes de tante Jeanne !
Les portes de la voiture ont claqué. Sur le gravier, les pneus ont crissé à mort, je vous dis pas. Les parents sont furax. Non, je n'irai pas chez tante Jeanne afin de lui souhaiter la bonne année. Je m'en fous de la bonne année et de tante Jeanne. De toute façon, ses galettes sont dégueu. J'ai dix ans, je veux vivre ma vie. Il est temps quand même. Tout au moins le dimanche après-midi. Na. Et d'ailleurs de délicieux projets frappent à la porte. J’entends leurs tambourinages. Impossible de résister.
Pas le temps d'achever ma phrase qu'un tourbillon empaginé (oui vous lisez bien, empaginé) absorbe mon corps enrubanné dans un jean troué, mon esprit percé, tout quoi. Je ne me débats pas. Trop contente. Maman m'avait prévenue, Si tu plonges là-dedans, tu es foutue, ma chérie. Elle avait raison, comme toujours. Et en effet, ça n’a pas tardé. Tout de suite D’Artagnan m’a adoptée et je suis devenue pote avec Porthos, Aramis, et Athos. Des mecs extra qui n’ont peur de rien. Grâce à eux, la Botte de Nevers n’a plus aucun secret pour moi. Ensemble, nous en avons vécu des aventures, je vous dis pas. Des beuveries dans les auberges, des chevauchées dans les campagnes, et cette escapade londonienne afin de récupérer les ferrets de diamant de la reine. Mais oui, je vous assure ! De là, j’ai voltigé dans les pas d’Henry de Lagardère. Son histoire alambiquée à cause d’une vengeance n’en finissait pas et puis risquer ma vie avec un bossu pour qu’à la fin il tombe amoureux de la belle Aurore, ah non merci. C’est alors que j’ai rencontré un super beau mec tout droit débarqué de son Écosse natale, Quentin Durward. Là aussi, l’histoire a tourné en eau de boudin. Quentin (lui et moi étions intimes, quand même) est de suite devenu archer du roi et j’en ai eu ma claque de ces histoires de terres à conquérir entre Louis XI et Charles le Téméraire. Je vous dis pas les anachronismes labyrinthiques entre mes neurones. À en devenir zinzin.
Et puis par un tour magique de passe-passe me voilà dans une grande salle du château de Thornfield. Sublime. Vous connaissez ? Là, Jane Eyre se torture l’esprit car elle est amoureuse de monsieur Rochester, son boss, un homme plus âgé qu’elle et plein de tunes. Soit. Mais entre eux, il y a cette très belle Miss Ingram et la première épouse de Rochester, une cinglée toujours en vie et cachée dans les combles du château. Ça fait pas mal d’embûches pour la pauvre Jane. Accroche-toi je lui ai dit et tout s’arrangera, tu verras. D’aventurière, mon statut passe illico à conseillère conjugale. D’où mon incursion immédiate dans la vie de Cécile. Les sorties à Saint-Tropez dans les boîtes à la mode, les flirts en veux-tu en voilà. Et puis branlebas de combat, le père de Cécile, le riche Raymond, s’emmêle les pinceaux entre ses deux maîtresses (je prends des raccourcis), et la pauvre Cécile se démoralise. Et c’est là, oui, là, en lisant Bonjour tristesse de Françoise Sagan (vous l’aviez deviné) que je me suis prise d’un amour incommensurable pour les mots. Comme si avant la lecture de ce livre, je n’avais jamais pris connaissance des mots, de leur vie, de leur impact, de leur influence des uns sur les autres. Avant Bonjour Tristesse, j’ignorais les mots, je vivotais dans l’histoire et ses effluves. À présent, je danse avec les adjectifs, les substantifs, les prépositions et tous les autres membres de la famille. Depuis que j’ai franchi la porte inter-dimensionnelle de la Littérature, je me vautre dans ce vortex sans fin et je me dis que jamais je ne voudrais en sortir. Et fuck tante Jeanne, le Nouvel An, et les galettes.