Micheline Boland nous propose un conte "Le ruban rouge" écrit pour un spectacle destiné à mettre en évidence les droits de l’homme
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LE RUBAN ROUGE
Il était une fois, Guillemin, un jeune prince fier comme un paon, beau comme un lion et travailleur comme une fourmi.
Il a vingt ans et ne ménage pas ses efforts. Il connaît par cœur les œuvres de grands philosophes et des formules mathématiques très complexes. Chaque matin, il se livre à une longue gymnastique, puis à une petite méditation.
Où qu'il se rende, quelle que soit son activité, il veut toujours être le meilleur. Il faut dire que depuis sa plus tendre enfance ses précepteurs et sa mère n'ont ménagé ni les compliments ni les encouragements. "Bravo, prince. Vous serez un grand roi. C'est magnifique. Vous avez tous les talents", s'entend-il dire très souvent, trop souvent sans doute.
Ainsi, à vingt ans, il veut être premier au concours de fleuret, à celui d'aquarelle, à celui de poésie et à celui de boules, premier à l'épreuve nationale de géométrie et au championnat de danse. Il veut aussi être le plus perspicace, le plus fort, le plus généreux, le plus subtile, le plus original, le plus performant, le plus adroit des princes. Bref, à force d'avoir été mis en valeur parfois à tort et à travers, Guillemin aspire à la perfection. Et pour cela avouons-le il se donne beaucoup de peine. Il ne veut pas réussir parce qu'il est le fils de son père, le roi, non il veut réussir parce qu'il surpasse vraiment tous les autres.
Mais voilà, malgré tous ses efforts et ses entraînements, il n'est bien sûr pas toujours le premier partout. Dernièrement au concours d'aquarelle et à celui de boules, il a été dépassé par deux individus. Il se renseigne à leur sujet afin de pouvoir les surpasser la prochaine fois et s'aperçoit que coïncidence les deux lauréats sont gauchers.
Dès lors, il implore son père d'interdire toute participation à tout concours pour les gauchers. De plus, pour être certain que cela soit appliqué, il suggère que chaque gaucher soit obligé de porter un ruban rouge sur le haut de son vêtement. Ainsi, ils seront tous repérés d'un rapide coup d'œil afin de pouvoir être facilement exclus évidemment.
Ce que le prince Guillemin veut, son père, qui l'admire beaucoup, le veut aussi même si avouons-le c'est quelquefois à contre cœur. Ainsi cette idée de ruban rouge, le roi la trouve carrément de mauvais goût. "Bonjour la discrimination, pense-t-il ! Ce n'est vraiment pas une mesure susceptible de faire régner une bonne ambiance dans mon petit royaume !"
Alors le roi dit juste : "Patience, Guillemin ! Il faudra d'abord réfléchir si c'est faisable ou pas !"
"Bien sûr que c'est faisable…", répond le prince.
"On verra, on verra Guillemin.", conclut le roi.
Le roi cherche à temporiser…
Avant de mettre la fameuse idée en application, il en parle à la reine, son épouse.
- Qu'allons-nous faire, ma douce ? Guillemin a remarqué que ce sont des gauchers qui ont obtenu de meilleurs résultats que lui. Il en est fort touché. Il voudrait donc que j'interdise aux gauchers la participation à toute compétition. Et pour qu'il ne puisse y avoir de tricherie, il propose de leur faire porter un ruban rouge sur leur vêtement. C'est incroyable !
- Mets-toi à sa place, mon cœur !
- Mais ma douce, après les gauchers, il voudra peut-être exclure les roux, les gens à lunettes, ou qui d'autres encore. Et puis l'idée de ruban, ça me heurte !
- C'est notre fils, notre seul enfant…
- Oh ma douce, que faire, que faire ?
- Fais ce qu'il demande, mon cœur ! Tu as réalisé que Guillemin souffre beaucoup de ce qui s'est passé ! Comprends-le !
- Bon, je vais y réfléchir. La nuit porte conseil…
La reine, qui adore Guillemin, son fils unique, et n'a cessé depuis sa naissance de le louanger à bon et mauvais escient, a réagi encore plus mal que le roi ne le craignait.
Le roi regagne sa chambre, il est fort contrarié. Tandis qu'il marche dans les longs couloirs, si longs couloirs du palais, une idée lui vient, une idée toute simple. Et s'il en parlait à quelqu'un d'autre ? Aussitôt pensé, presque aussitôt fait.
Dès le lendemain matin, le roi en parle à son seul véritable ami, Pierrot, son tailleur, celui-là qui a eu la même nourrice que lui, qui fut le compagnon de jeu de sa petite enfance, qui ose lui dire sans détour sa manière de penser. Au terme d'une discussion, tous deux sont d'avis que cette idée de ruban est une fort, fort mauvaise idée.
"Nous sommes d'accord Pierrot, mais je ne veux pas contrarier la reine. Elle est tellement susceptible et boudeuse…Elle tirera la tête des semaines et des semaines. Pour finir, je serai encore obligé de céder à un autre de ses caprices. Lui offrir encore de ces bijoux très chers dont elle raffole."
Après un long silence, la solution vient de Pierrot : "J'ai déjà lancé des modes. Quand une mode est lancée, personne ne résiste. Un exemple : il y a deux ans quand les pantalons bouffants faisaient fureur, tous, jusqu'aux obèses et aux aînés ont voulu en porter ! Alors pourquoi ne pas lancer la mode des rubans et le tour sera joué !"
"Ah merci, mon cher Pierrot, je savais qu'à deux nous trouverions la parade…", s'exclame le roi.
Ainsi fut dit, ainsi fut fait…
Bien vite l'unique fabriquant de rubans du royaume se met au travail ! Tous la reine, les ministres, le petit peuple, la classe moyenne, les jeunes, les vieux, tous veulent bientôt porter des rubans multicolores pour agrémenter leurs vêtements. Le roi arbore des rubans aux couleurs du royaume. On en voit à tous les bals, dans toutes les écoles et dans tous les bars, à toutes les réunions d'amis et de famille, à toutes les vitrines des magasins. Désormais on trouvera des pains, des saucissons, des fromages ornés de rubans. Les animaux en porteront eux aussi.
C'est ainsi que l'idée de ruban rouge fit un heureux naufrage.
Lors du grand bal de la cour, Guillemin fut ébloui par une fort jolie jeune fille vêtue d'une superbe robe blanche garnie de centaines de rubans multicolores. La jeune fille quant à elle fut éblouie par les beaux yeux du prince et par sa voix si chaleureuse. Bref, tous deux connurent un véritable coup de foudre. Ce que vous ne savez pas c'est que la belle était la fille du fabricant de rubans du royaume et qu'elle était gauchère.
Micheline Boland