Tcharleroy, it's so lovely ! d'Edmée de Xhavée Part 3

Publié le par christine brunet /aloys

  

 

Wes est sorti de l’avion à Brussels National avec la démarche d’un robot dont les piles deviendraient plates. Mais, stoïque comme tout Sioux qui se respecte, il n’a rien dit. On l’a regardé, parfois peu discrètement, avec ses longues tresses grises désormais, les dents de cerfs pendant aux oreilles, le bracelet-montre d’argent et turquoises, les mocassins magnifiquement perlés par Wynona qui est insurpassable dans cet art comme dans les maths. Il avait refusé d’enregistrer son bagage et a donc un petit baluchon que tout cheminot d’autrefois lui aurait envié, et celui de Wynona est à peine plus gros, parce qu’elle a quand même pris une belle robe au cas où.

   Ils ont vite cessé de comprendre quoi que ce soit en quittant l’aéroport : jusque-là il leur suffisait de lire ce qui était en anglais. Mais une fois dehors, l’étendue du vaste monde les assaille. Ils ont pris le shuttle qui les amène jusqu’à Charleroi, tendant leur billet au chauffeur qui, bien aimablement, a fait des sons incompréhensibles avec la bouche, mais quand on arrive à faire de la soupe pour 5 enfants et un mari avec un dollar, des herbes de la prairie et un jarret de vache, on ne va pas perdre la tête pour si peu. Elle acquiesce et sourit largement, serrant contre elle son sac de sport plein à craquer posé sur ses gros genoux et s’installe à côté de Wes, dont le visage exprime une méfiance un peu évidente.

   Il a tout à fait abandonné l’espoir de guider sa faible squaw dans l’inconnu et est d’une docilité exemplaire. Et n’a pas protesté pas quand à l’arrivée à l’aéroport Wynona, le papier d’explications en anglais que Suzie -  la cousine de la belle-sœur de Ruby-Lola pour rappel – lui a imprimé à la main, a pris trois fois le même escalator en montée et en descente, cherchant à se repérer dans les flèches indiquant trains, bus, shuttle, sortie, toilettes, point de rencontre, arrivée et départ. Mais là, bien assis en sécurité dans le shuttle qui les conduit à Charleroi, elle sort de son sac une petite boite métallique de pemmican et en donne une pincée à Wes, qui comprend ainsi que cet exode insensé prendra vite fin.

   L’amie virtuelle de Suzy les attend, une quinquagénaire élancée au visage généreux, les oreilles allongées par de petits attrapeurs de rêve emplumés qui font hoqueter Wes de stupéfaction. Elle porte un T-shirt aux teintes passées orné d’un bouclier où court la salutation lakota Mitakuye Oyazin – nous sommes tous parents - traversée d’une plume d’aigle. Enthousiaste et contenant son excitation au prix d’un gros effort, elle les serre contre elle, émue et souriante en disant « Welcome in Belgium, kola ! I am your friend Bénédicte ! ». Wynona se raidit et sourit poliment. Mais un éclair de panique traverse son regard et elle préfère ne pas interroger celui de Wes. Bénédicte, bien que très visiblement sincère, serait-elle une Wannabe,, une blanche qui joue à être Indienne ? Il ne manque plus que le Hau, chief, et ce sera comme si on était restés au pays au milieu des blancs. Mais elle sourit, et s’installe, le sac de sport sur les genoux, à l’avant de la voiture, à l’arrière de laquelle le pauvre Wes se replie comme un contorsionniste pour loger ses jambes devenues si insensibles qu’il en arrive à croire qu’il les a laissées dans la petite maison de Buffalo.

   Bénédicte a les mains moites de bonheur et parle sans sembler remarquer que les seules réponses sont un sourire poli qui montre la saine denture d’une Wynona morte de fatigue. Elle indique des choses à gauche et d’autres à droite, explique, haletante, tout en conduisant, riant et respirant fort avec une expression ravie.

   Mais quand après des moulinets du poignet et une phrase tout à fait incompréhensible sur un ton interrogateur elle entr’ouvre les deux fenêtres avant, l’air plonge dans leurs corps fourbus et leur parle d’herbe saine, de pluies insistantes, de pierres aux milles secrets, de pelages de vaches, de chats et chiens, de plumages fendant le ciel ou frôlant les branches. L’air leur parle et les saoule de sa généreuse fraicheur. Ça ne sent pas le Dakota, mais c’est un autre air, et c’est bon de découvrir ce que respirent les gens dans ce coin du monde. Wynona se retourne vers Wes, recroquevillé comme une virgule ankylosée, et s’ils ne sourient pas, leurs yeux se caressent avec joie. Sonnés d’un voyage de près de 25 heures, ce sont deux Sioux ronflant comme des ours en hiver que Bénédicte amène devant sa petite maison de briques aux fenêtres rougies de géraniums.

 

A suivre...

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M
J'aime beaucoup l'écriture, j'aime les images employées. Comme j'aime par exemple : "L'air leur parle et les saoule de sa généreuse fraîcheur'.
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S
ah cet humour tendre, un brin ironique, délicieux...
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A
Si je devais faire le voyage en sens inverse, je n'en mènerais pas large non plus. Probablement moins encore, d'ailleurs ! Hâte de lire la suite...
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C
Eh bien on attend la suite de l'aventure avec impatience.
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P
Encore, encore !
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