Alexandra Coenraets nous propose un nouvel extrait de "Naissance"
Flash
Dans ma chambre, dans mon lit, une petite fille. Je vois tout du dessus. Il a sauté sur moi avec une rage incroyable, je ne sais pas ce qui m’arrive, je tremble, je ne comprends pas, je me disloque, il me foudroie, je ne veux pas, je n’ai pas le choix, je refuse, je sors de mon corps. Il me salit de ses mains gluantes et dégueulasses. C’est une invasion. C’est abominable. Je veux disparaître.
Laurence n’appartenait qu’à elle-même, il le savait. La liberté qui faisait son essence, il en souffrait.
Mais c’était ainsi.
Il réalisa qu’il ne pourrait jamais la conquérir totalement. Il goûtait, il savourait ces instants où il pouvait la posséder charnellement, où il avait l’illusion qu’elle n’appartenait qu’à lui, que jamais plus elle ne poserait son regard sur un autre homme, que jamais plus il n’éprouverait du désir pour une autre femme.
Il soupira encore.
Et tressaillit.
Etrange, cette douleur dans la poitrine. A quel point craignait-il de s’attacher ?
J’ai honte.
J’ai honte de la « peau contre peau », du « corps contre corps », des frottements, des bruits, des soupirs, des halètements, de la transpiration.
Je n’ai pas honte au moment même, j’ai honte quand je m’en rappelle.
Je voudrais que cela n’ait jamais existé.
Je voudrais creuser la terre jusqu’au centre, jusqu’à en avoir les doigts et les bras meurtris, pour y enfouir le souvenir de ces moments « chair contre chair », ces moments qui me crient que je suis humaine. Je ne supporte pas de m’en rappeler.
Je sens mon corps, je vois ma chair, je sens que je vis.
Je me sens sale.
Je sais que j’ai eu du plaisir quand Géniteur m’a fait « ça ». J’en ai honte encore aujourd’hui.
Je viens de lire récemment dans un livre que le plaisir sexuel était physiologique. D’en avoir ressenti alors ne fait pas de moi une coupable, ni une responsable de ce qui s’est passé. Des abus. De l’inceste. Tout ceci a l’air si simple, cela paraît évident. Et pourtant, c’est si difficile pour moi de l’intégrer. Et pourtant, il y a encore des gens qui pensent que l’enfant ou l’adolescent a « provoqué » l’adulte, qu’il était consentant.
L’inceste ôte l’essence de la vie et n’en laisse qu’un semblant.
C’est pourquoi,
Ne me dites pas d’oublier. Ne me dites pas que c’est le passé. Ne me dites pas de passer à autre chose, ce n’est pas possible.
NE ME DITES PAS D’OUBLIER A NOUVEAU CE QUE J’AI EFFECTIVEMENT «OUBLIE» PENDANT VINGT-CINQ ANS, OUBLIANT, CE FAISANT, DE VIVRE.
C’est déjà important que j’accepte de me souvenir.
Ne rentrez pas dans le déni, vous non plus.
Je veux que ce mal sorte de mon corps, que cette chose, cet alien qui dévore mes entrailles s’extirpe de mon sang, de mon cœur, de mon âme.
Ce mal, c’était l’inceste.
Les mains de son père, sa bouche, son machin, ce pénis gluant et puant, qui grossissait, son sperme sur elle.
Sa mémoire ne la laissait pas tranquille, ni sous forme de flashes constants, ni par le biais de son corps qui gardait en son sein les stigmates douloureux de son histoire. Dans les moments d’angoisse, de nuit comme de jour, ses deux mains s’en allaient d’instinct se placer juste sur son sexe pour le protéger.
Alexandra Coenraets