Barbara Flamand: 3ème partie : "Le génie et la peintre des labyrinthes", extrait de la nouvelle "Le tragique destin de l'agent de police P.I.12"
3ème partie : "Le génie et la peintre des labyrinthes"
extrait de la nouvelle "Le tragique destin de l'agen t de police P.I.12"
Pierre-Louis Rapcorps n'était pas entré dans la police par vocation. Adolescent, il ne se sentait pas l'âme d'un gardien de la cité et de la propriété. A vrai dire, il ne se sentait d'âme, ni pour ceci, ni pour cela. Peut-être ne se sentait-il pas d'âme du tout ? Il n'éprouvait que le vague désir de gagner son pain le moins durement possible. Après avoir tâté de divers métiers, aide-maçon, magasinier, éboueur... il ne se trouvait toujours, à 23 ans, aucune inclination particulière.
Après son mariage avec une caissière de supermarché, Martine Delcourt, dite Tina, il décida, pour accomplir dignement sa fonction d'époux et de futur chef de famille, de s'engager dans la police, seul corps de métier, disait-il, qui ne possède jamais assez de bras, de cerveaux et d'honnêteté. En fait d'honnêteté, Pierre-Louis Rapcorps pouvait se prévaloir du minimum : il n'avait ni volé, ni tué. Ses bras pouvaient rendre de bons services et, comme tous les humains, il était censé jouir d'un cerveau.
Sanglé dans son uniforme, Pierre-Louis Rapcorps devenu P.I.12 par son matricule, se sentit extraordinairement bien dans sa peau. Il comprit qu'il avait trouvé sa place et qu'il n'avait qu'une chose à faire, donner libre cours au sens du devoir et de l'autorité que sa nouvelle carrière venait de lui révéler.
Parmi ses missions de confiance : constats d'infraction aux propriétaires des chiens crottant dans les squares ou aux propriétaires de véhicules garés dans un lieu de stationnement interdit, il s'en trouvait une qui le comblait d'aise, qui le portait même à une jubilation intense : le relevé d'identité d'hommes à peau bistre et cheveux noirs crépus.
Pour ce faire, P.I.12 avait sa manière. Arrivé au niveau de l'individu, il le dépassait lentement en lui jetant un regard oblique ; quand il parvenait à une distance de deux ou trois mètres devant « son homme » et que celui-ci se mettait à croire naïvement qu'il échappait au contrôle policier, P.I.12 faisait volte-face, marchait droit sur sa proie en la fixant dans les yeux et ordonnait : « Papiers ! ». L'autre, farfouillait dans sa poche, baissait le front, présentant ainsi à P.I.12 sa tignasse noire et crépue, cette tignasse qui, justement, mettait P.I.12 dans tous ses états.
– Au poste ! hurlait-il.
– Pourquoi ?
– Fais pas l' con! Tu l' sais mieux qu' moi, chacal ! Et P.I.12 hurlait de plus belle.
Cette appellation de chacal distinguait P.I.12 de ses collègues qui criaient plus communément « Bougnoul ! ». P.I.12 était très fier de son interpellation originale qui affirmait sa culture. Petit garçon, Pierre-Louis Rapcorps avait adoré les histoires de jungle. Le mot chacal qu'il y avait trouvé résonnait toujours à ses oreilles comme l'expression d'une animalité cruelle et fourbe. Dans ce mot, se cachait une mystérieuse menace, innomée, indéfinie et pourtant réelle.
Barbara Flamand