Jean-Claude Texier : un second extrait de L'Elitiste

Publié le par christine brunet /aloys

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L’ÉLITISTE

                           Jean-Claude Texier

 

Un extrait de circonstances électorales

 

Roméo de Rivera, proviseur du lycée Edith Cavell dans une banlieue bourgeoise de la région parisienne, staliniste farouche et dirigeant tyrannique, devenu socialiste par opportunisme, est fortement impliqué dans la campagne présidentielle de 2007.

 

Suite...

 

 

 

 

(...) Enfin, profitant d’une accalmie, il posa la question qui lui brûlait les lèvres :

« Dites-moi, Mademoiselle… ? 

— Edwige, et vous ? 

— Roméo. 

— C’est très romantique. Un joli prénom. 

— Merci. J’aimerais connaître votre avis, on parle beaucoup en ce moment du clivage droite gauche et certains trouvent que ces orientations sont dépassées. Pour vous, qui êtes jeune, que signifie être socialiste ? Beaucoup de gens jugent aujourd’hui qu’il n’y a plus de différence entre la gauche et la droite. Qu’en pensez-vous ? 

— Oh si, il y a une grande différence, même si l’on prétend le contraire. »

Elle était soudain devenue très sérieuse, comme si ce sujet lui tenait à cœur. 

Elle réfléchit un instant.

« Le socialisme prend la nation comme un tout, collectivement, commença-t-elle d’un geste charmant évoquant un globe. Il ne fait pas de différences sociales. Être socialiste, c’est croire en l’égalité de tous les hommes, quels que soient leur origine ethnique, leur religion, leur engagement politique, leur niveau social. Pour un socialiste, le mot le plus important, c’est le peuple, celui qui contient toute la sagesse accumulée par les générations. L’idéal socialiste, c’est le bonheur de tous, du plus humble au plus élevé, et comme il repose sur l’égalité, il implique le partage des richesses, leur redistribution équitable sur l’ensemble de la nation. Il y a tout cela dans le programme de Ségolène. Sa démocratie participative va puiser aux sources populaires du pays pour s’en inspirer. Elle s’intéresse aux exclus, aux handicapés, à l’égalité salariale de l’homme et de la femme, à la promotion sociale de la femme, à l’insertion des jeunes dans la société, à la lutte contre le racisme et la discrimination. Dans l’État socialiste, tous les hommes sont égaux, donc solidaires, et l’intérêt général l’emporte sur les profits privés. L’économie de marché doit être contrôlée par l’État pour assurer la justice sociale.   

Il y a aussi l’idée que l’homme peut échouer, que l’échec n’est pas une damnation. On aide le perdant à se relever. La pauvreté est une conséquence de l’inégalité, du gaspillage, de l’appropriation des richesses par quelques-uns, des abus de pouvoir, de l’injustice. Davantage de justice sociale doit amener les plus démunis à sortir de la pauvreté. C’est l’ordre juste de Ségolène : faire en sorte que chacun ait de quoi vivre                      décemment. »

Roméo l’approuva.

« Et maintenant, être de droite, qu’est-ce que c’est, selon vous ? »

Elle se concentra un instant.

« La droite voit la société sous l’angle de l’individu. Elle prêche des valeurs que ne renie pas nécessairement la gauche, mais leur donne une importance primordiale : le travail, l’ambition, la famille, la patrie. Économiquement, elle prêche le libéralisme, qui laisse jouer la concurrence commerciale, et la compétition des individus, qui doit faire réussir les meilleurs. Il y a donc dans l’idéologie de droite un culte de l’élite… »

Roméo tiqua malgré lui à ce mot.

Elle n’y prit garde et s’enflamma, le verbe haut.

« ... avec pour corollaire un mépris de l’exclu, de celui qui échoue, qui se révolte, du délinquant des banlieues assimilé à une racaille, une tendance à l’autoritarisme, une glorification de l’ordre brutalement instauré, de la répression de la criminalité par l’augmentation des peines, un darwinisme social qui prétend que dans la lutte pour survivre, c’est le plus apte qui gagne, tandis que les moins aptes sont naturellement éliminés. C’est comme l’opinion de Sarkozy sur les pédophiles victimes de leur héritage génétique. Ce sont d’incurables ratés de la nature. On n’y peut rien. L’échec est donc la sanction d’une incapacité, et la réussite la récompense du labeur et de la valeur de l’individu.

Donc, la droite défend l’entrepreneur, moteur de l’économie. C’est l’entreprise qui crée les richesses, et c’est par sa croissance qu’un pays progresse économiquement en fournissant emplois et pouvoir d’achat pour tous. Elle croit au mérite individuel, voit dans l’argent une récompense du travail et des talents, et non une injustice. Le train de vie de Vincent Bolloré, 451e fortune du monde, est un scandale pour la gauche, un exemple de l’appropriation des richesses par les privilégiés. Mais selon la droite, Vincent Bolloré est un exemple de compétence, de valeur, de travail, d’efficacité et de prise de risques, dont la réussite contribue au rayonnement économique d’un pays.

Pour la droite, les 35 heures sont une aberration, car le travail n’est pas un gâteau que l’on découpe en parts équitables pour chacun. Selon Sarkozy, elles coûtent sept milliards par an au pays, sans parler des secteurs où elles sont inapplicables, comme les hôpitaux. Le plein emploi est l’œuvre des entrepreneurs qui font tourner la machine économique à plein régime, et dont il faut faciliter les projets. En particulier ne pas les faire fuir à l’étranger par un impôt sur la fortune trop élevé. 

— Bravo pour cette analyse, apprécia Roméo. Mais le clivage gauche droite, est-il si tranché que cela ? 

— Oh, pas toujours. Ainsi, quand Ségolène veut réconcilier les Français avec l’entreprise, quand elle prétend aider les entreprises innovantes qui réussissent, elle préconise une politique de droite. Car où trouver de l’argent ailleurs que dans l’économie ? Prendre l’argent des riches est une hérésie. 

— Vous êtes donc de droite, puisque vous prêchez le libéralisme économique » fit-il d’un air taquin.

Elle sourit en balançant la tête.    

« Ni de droite, ni absolument de gauche, puisque je ne suis pas encore décidée à prendre ma carte du PS. Il y a plus d’égoïsme, de dureté, d’exigence à droite, mais aussi parfois plus de pragmatisme ; il y a plus de générosité, de tolérance, d’ouverture et d’humanité à gauche, en particulier en matière d’immigration et d’environnement, avec parfois un manque de réalisme. Mais je crois que cette division droite gauche n’est pas une vision saine des choses, qu’il faut se situer au-dessus, c’est pourquoi je penche vers Ségolène qui n’a pas une position                      antipatronale comme la gauche traditionnelle. Je partage son idéal d’une réconciliation des Français avec l’entreprise. 

— Qu’est-ce que vous entendez par réconciliation avec l’entreprise ? 

— Je veux dire, un individu peut très bien avoir de l’ambition, s’améliorer pour devenir excellent dans son travail, et un autre être un patron équitable payant convenablement son employé pour le travail qu’il fournit. Être patron implique une capacité à diriger, à assumer des responsabilités, mais aussi un sens de l’équité et de la justice dans le paiement de ses employés. Il ne peut verser le même salaire à tous, car certains sont plus qualifiés que d’autres. Mais il s’interdit d’exploiter quelqu’un parce qu’il est faible ou peu qualifié, ou de discriminer lors de l’embauche selon des critères raciaux, politiques, religieux ou autres, ou encore de pratiquer le harcèlement moral pour se débarrasser de quelqu’un sans lui payer des indemnités de licenciement, ou le harcèlement sexuel qui prend l’autre comme objet, ou toute autre forme de domination dégradante. Il ne manipule pas ses employés pour obtenir d’eux plus qu’ils ne peuvent donner, il respecte leurs horaires de travail, tient compte de leurs revendications, maintient le dialogue avec eux, et les rémunèrent décemment, chacun selon son mérite. Cette vision n’est pas chimérique, elle fait rejoindre la droite et la gauche dans la même communauté d’intérêts. »

Roméo était devenu blême. Il fixait la jeune étudiante comme un serpent, figé dans un moment de fascination où le reptile brise la volonté de sa victime, et avant de la détruire, la réduit à l’impuissance, en fait une chose molle, malléable, soumise, comme un subalterne. Mais indifférente à son masque glacé, elle lui offrait son regard clair, accompagné d’un demi-sourire, cherchant à deviner ses pensées, et, ravie de son effet, attendait patiemment une approbation. Comme le silence s’éternisait, une gêne sourde apparut dans ses yeux, une vague inquiétude de lui avoir déplu. Alors, conciliante, elle lui demanda doucement, comme à un enfant boudeur :

« Vous n’êtes pas vexé au moins ? »

Il parut sortir d’un monde intérieur et reprendre conscience du lieu et de l’heure.

« Non, dit-il faiblement, j’étais seulement… stupéfait de vous entendre parler… comme Ségolène. » 

Elle éclata de rire, d’un rire cristallin qui le réjouit. Autour d’eux, les clients se levaient et se dirigeaient vers le siège du parti où s’annonçait l’imminence des résultats. Ils suivirent la cohue et allèrent sur le trottoir opposé, devant l’immense écran, parmi la foule qui ponctuait les images d’applaudissements, de sifflements ou de huées selon le bord politique des personnages. Les vagues de drapeaux blanc et rouge du Mouvement des jeunes socialistes s’agitèrent lorsque commença le compte à rebours, vers les 2O heures fatidiques. Il cria avec eux, joignit sa voix tonnante à l’ample clameur de la jeunesse :

« six, cinq, quatre… »

Des balcons et des chambres sous les toits, où les vitres renvoyaient les derniers éclats du soleil en cette douce soirée printanière, des journalistes filmaient l’évènement.

Il retint son souffle.

 

Copyrights Editions Chloé des Lys 2012

 Jean-Claude Texier

 

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C
<br /> Le premier extrait de l'élitiste m'avait déjà intéressée, ce second confirme mon intérêt. Un éclaircissement au sujet de cette politique dont les sujets nous embrouillent de plus en plus ...<br />
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