Le chien, un texte de Micheline Boland
LE CHIEN
Maria était une femme secrète. Quand elle avait acheté un petit bungalow près de chez moi, elle avait déjà près de quatre-vingts ans. Maria saluait les voisins mais se gardait bien d'amorcer la moindre conversation. Même un " Quelle belle journée !" prononcé d'un ton joyeux après lui avoir dit bonjour, ne l'encourageait pas à s'épancher un peu.
Un jour pourtant, elle sonna à toutes les portes de la rue. "Fanfan a disparu. Vous ne l'auriez pas vu ?" Au fil des jours, Maria insista. Elle colla des affichettes sur les montants des panneaux de signalisation, sur la barrière de son jardin, sur chaque poteau de la rue. "Cherche bichon maltais, répondant au nom de Fanfan. Bonne récompense. S'adresser chez Maria Monari".
Maria était comme folle. Elle arpentait des heures la rue appelant régulièrement "Fanfan", apostrophait les passants. Cela faisait près d'une semaine que le chien avait disparu, je la sentais désemparée et lui proposai d'entrer à la maison pour se confier à propos de cette perte qui l'obsédait. À peine assise, elle me parla de Fanfan que Raoul, son mari, lui avait offert quelques mois avant son décès. Raoul venait d'être victime d'un premier infarctus et s'attendait au pire. Il lui avait dit : "On ne sait pas ce qui peut arriver. Un animal, ça aide à supporter la solitude." Cela faisait seize ans que le chien lui tenait compagnie, seize ans qu'elle lui parlait comme à un ami. Et puis, elle avait reçu la visite de son fils et Fanfan s'était fait la belle. Elle ne s'expliquait pas cette disparition.
J'osais à peine parler. Que dire ? Que faire ? Comment être sûre de ne pas blesser Maria en lui proposant de l'accompagner à la SPA pour remplacer l'animal disparu ? Comment lui dire que je m'étais informée au sujet de l'espérance de vie de son compagnon ? Je me suis tue mais Maria a pris l'habitude de venir me voir. Elle gardait l'espoir de retrouver Fanfan, croyait même l'avoir aperçu lors d'un reportage télévisé ainsi que sur la place du Marché, le jour de la brocante.
Le temps qui passait la laissait meurtrie ! Même si ça devenait de moins en moins fréquent, il lui arrivait encore de faire les cent pas dans la rue en appelant "Fanfan, Fanfan".
Un après-midi, je gardais Mathilde, ma petite-fille, lorsque Maria vint chez moi. Elle vit Chipie le chien en peluche blanche de Mathilde et s'exclama : "Oh Fanfan." Je n'eus pas le loisir de dire un mot ou de faire un geste, déjà Maria emportait le jouet avec elle.
À partir de ce jour-là, Maria ne quitta quasiment plus la peluche. Elle la serrait contre elle lorsqu'elle allait faire des courses, se rendait dans son jardin ou chez moi. Je n'osai faire aucune remarque.
Un matin, on a retrouvé Maria morte dans son lit, Fanfan à ses côtés. On n'a pas osé les séparer et on les a déposés ensemble dans le cercueil.
Micheline Boland
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