Neuvième en ré mineur, un extrait de "Chansons de Roland" un roman de Georges Roland
NEUVIEME EN RE MINEUR
I. CHAOS. ALLEGRO MA NON TROPPO.
Des mots jaillissent. Éclatent en gerbes ignées.
Ce n’est rien encore, que ce marasme en halo.
Il en vient de partout comme des rafales.
Des mots douloureux, des paroles balbutiées avec un peu de bave
aux commissures du stylo.
Puis d’autres, ravageurs, aux attributs de scandale, comme des
pets sonores et odorants lâchés en ribambelle dans le murmure
confus des gens de haute connaissance.
D’autres encore, la bouche en cœur, l’auriculaire levé.
D’autres enfin, indignes de gésir aux meilleures poubelles de
messieurs cravatés de soie et de sobre élégance,
Une main sur le téléphone, l’autre sous une jupe griffée.
Des mots sans tête, mais avec queue.
Des mots aux regards belliqueux.
Des mots - mots des, qui se bousculent
Avec des rondes et des majuscules
Ils m’arrivent dans la main, la font trembler,
Et mon cerveau a du mal à les rassembler.
II. SCHERZO. MOLTO VIVACE.
Émerge soudain de toute cette cacophonie,
Une fanfare de phrases rythmées en alexandrins,
Quatrains sonnets virelais et ballades,
Le trouvère accède à la stéréophonie !
François, Pierre, Joachim, Vidocq, Mandrin,
Passés à la moulinette, resservis en salade
Et la poésie y devra trouver son content.
On termine en queue de poisson,
La muse au yeux pers s’est fait la malle
Avec Hadès, Bouddha, Mahomet ou Jésus.
On se retrouve dans un champ après moisson,
La rime en banqueroute, quelques pieds en cavale.
Il n’y a plus rien, de ce qu’on a écrit.
III. ADAGIO E MOLTO CANTABILE.
Le calme serein arrête la plume, retient la main.
Un peu de douceur s’il vous plaît, c’est l’heure des caresses.
Regarde par-dessus ton épaule, mon frère, la lande paisible
Où paissent les gigots, sans peur du lendemain.
Rengorge tes ardeurs, caudine-toi à la confesse
De tes péchés de chère et de chair,
Fais ton possible pour contenir tes étalons en hexamètres.
Purifie-toi à l’eau lourde de la science en chemin.
Il faut te recycler, il faut brouter avec les autres.
La même pâtée aux hormones, le même rouge à lèvres.
Bien sûr, vu de ce pont, ils ne chantent pas, tes lendemains !
Nous sommes tous parqués aux jardins d’un Le Notre
Où luxe, calme sont les seules voluptés, pauvre Charles,
Où le grave paradis des dieux n’est plus qu’artificiel.
Si le H est encore de mise, il faudra bien se sublimer :
Un shoot de shit, une dose de rêve ; défonce-toi !
Au pied des tours en décollage vertical, dors d’un sommeil
confortable...
Dors, petit, ils vont te caraméliser.
IV. FINALE AVEC CHŒUR. PRESTO.
Le cœur bat à cent et trente. C’est rapide : on suit à peine le tempo.
Sur le front, les veines saillent comme des rivières.
Les yeux s’exorbitent, la bouche tombe en bâillement.
Saute encore, continue, enfonce-toi dans cette musique obsédante !
Elle s’accélère au rythme des flux du sang dans tes artères.
Et la sérénité revient : il était temps, les pantins !
Haut, les chœurs ! C’est le moment de cantiquer !
Scandez-nous un Schiller de la bonne époque, âmes délicates.
D’étincelles des dieux, rallumez nos clopes éteintes !
Notre souffle perdu, notre halètement, à vouloir tout aérobiquer,
Retrouvons-le dans une suprême et divine éclate.
Faisons-en notre hymne, notre péan !
De Français en Franglais, de lance-pierre en bombarde,
Dans ma paume je serre une main un peu moite.
Alors, malgré vos têtes vertes, vos bouches de fouineur,
La déprime, c’est pour demain ! Ce soir, on loubarde !
On se verdeterrise dans les raves et les boîtes !
Et l’accord final, d’hallucinogènes multicolores, sera toujours
En ré mineur.
(extrait de « Chansons de Roland » éditions bernardiennes)
Georges Roland
www.georges-roland.com