Nouveau jeu sur Aloys... Qui est l'auteur de cette nouvelle ???
FLORENCE, MA SECONDE VILLE
Je devais avoir treize ou quatorze ans, lors de mon premier voyage à Florence. Dès mon arrivée, j'ai été conquise par la luminosité unique de la région. Certes, le soleil ne brillait pas plus là qu'ailleurs et mon jeune âge devait y être pour quelque chose puisque le second jour, alors que je déambulais dans les couloirs de la Galleria degli Uffizi à la recherche de ma mère, j'ai été aussi éblouie par un tableau dont le seul nom me faisait rêver : la sensuelle Venere di Urbino du Titien.
Voir ainsi la nudité parfaite d'une femme était pour moi une révélation de ce que j'allais devenir. Si Vénus pouvait ainsi se prélasser sur son lit, pourquoi pas moi dans quelques années ? Ce n'était guère l'habitude dans la famille d'aborder ce genre de sujet et je me gardai bien d'en parler à ma mère que j'avais enfin retrouvée au détour d'un couloir…
Le même jour, une autre révélation me fut donc offerte, les pâtes cuites al dente ! Des pâtes aux formes et aux goûts si variés, le parmiggiano au goût fort, bien différent du fromage râpé de Belgique.
À la maison, nous mangions traditionnellement des pâtes le jeudi. Des macaronis Soubry au jambon et fromage dans lesquels la brave Simone, cuisinière engagée par mon père, mélangeait une petite boîte de purée de tomates. Je trouvais ça excellent et jamais je n'avais imaginé que la cuisine italienne était à des lieues de celle de Simone.
Notre chambre avec terrasse donnait sur l'Arno qui, en ces premiers jours d'avril, était tumultueux comme un torrent de montagne. La chaîne des Apennins avoisinante commençaient montrer des taches vertes annonciatrices du printemps. Le ciel limpide se couvrait parfois rapidement de nuages gris et menaçants qui disparaissaient aussi vite qu'ils étaient arrivés ! Et toujours cette lumière unique que je n'ai jamais vue que là, à part peut-être durant l'été indien d'Amérique du nord que j'ai découvert bien plus tard.
Il y avait donc ces découvertes mais surtout le sourire des employés de l'hôtel. Certains, les plus jeunes, se montraient empressés à nous aider, à anticiper nos demandes ou même à nous proposer leurs services pour une visite de la ville, ce que nous avons toujours refusé. Les plus âgés, obséquieux parfois, se contentaient de faire leur service, parlant sûrement de nous entre eux tout en jetant des regards attentifs sur nos cheveux blonds et nos vêtements pas du tout "italiens". Lorsqu'ils ont appris que nous étions belges, leur attitude a changé du tout au tout. Certains nous ont montrés des photos, qui d'un oncle mineur près de Liège ou qui d'un frère parti travailler là-bas, en Belgique. Nous étions devenues les idoles de tout ce petit peuple !
La guerre n'avait pas laissé trop de traces. Quelle ne fut pas d'ailleurs notre surprise d'apprendre que la libération de Florence avait eu lieu en même temps que celle de nos villes. Un point commun de plus !
Florence restera pour moi, une ville de découverte, où les œuvres sublimes des peintres italiens rejoignent la fierté des bâtiments et l'éclat lumineux du ciel.
C'est à la fin de notre séjour que j'ai fait la connaissance de Salvatore, guide au Couvent San Marco. C'est là qu'il m'a fait découvrir les œuvres de Fra Angelico et les fresques dans les cellules des moines.
Ah, Salvatore et son charmant accent, Salvatore et son rire communicatif, Salvatore et ses grands gestes qui ponctuaient tout son discours. Maman nous avait laissé pratiquement en tête-à-tête pour aller admirer l'Annonciation à Marie et Salvatore m'avait emmené dans le cloître bien désert ce jour-là !
Il est resté deux jours à guetter notre passage, en vain. Alors, n'y tenant plus, il est arrivé le dernier soir à l'hôtel dont, dans ma naïveté, j'avais révélé le nom. Il est entré dans la salle à manger, s'est approché de notre table, nous a salué et a très cérémonieusement demandé ma main à ma mère qui lui a rit au nez ! Il est reparti comme un voleur et nous ne nous sommes jamais revus !
Les valises faites, le lendemain, nous avons repris le train vers la Belgique et son printemps humide et frais. Je me souviens du ciel bas qui nous attendait à la gare de Bruxelles. Mon père nous attendait à la sortie et avait, pour l'occasion, la voiture de son patron avec son chauffeur en livrée, s'il vous plaît ! Les deux femmes de sa vie valaient bien cet accueil, avait-il déclaré à ma mère !
Je me souviens encore de ce voyage initiatique comme celui qui m'a fait découvrir une ville superbe et où je suis retournée moultes fois. Salvatore avait disparu mais la lumière de Florence était toujours bien présente.
Florence où j'ai connu mes premiers émois amoureux, mais aussi où j'ai découvert la Vespa, les pâtes, les vraies et ce cappuccino qui reste pour moi la meilleure chose qui soit.
Louis Delville
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