Un extrait de L'Elitiste, de Jean-Claude Texier
UN EXTRAIT DE L’ELITISTE
Récité et mimé par Jean-Claude Texier sur YouTube yt.cl.nr/A2PV1RrGEgU.webloc
Roméo de Rivera, proviseur du lycée Édith Cavell dans une banlieue chic de la région parisienne, est entré en conflit avec la belle l’infirmière scolaire résidente. Son fils Félix, surnommé Le Chat en raison des moustaches dont il s’affuble durant les cours, a résolu de la venger.
Le lendemain, dans l’ascenseur réservé au personnel résident, Roméo fit la sinistre découverte d’un graffiti menaçant, l’esquisse d’une tête de chat moustachu avec ces mots en majuscules :
LE CHAT SAIT TOUT, VOIT TOUT ! LE CHAT EST PARTOUT !
En guise de signature, une griffure à quatre traits courbes avait éraflé la peinture.
Il sortait furieux de l’ascenseur quand il se trouva nez à nez avec un autre avertissement, sur le mur à gauche :
ROMEO, LE CHAT AURA TA PEAU !
Il entra en coup de vent dans son secrétariat et sans saluer Mlle Dombasle qui venait d’arriver lui lança :
« Convoquez-moi Félix Pervanche, Seconde E, tout de suite à mon bureau.
— Oui, Monsieur le Proviseur, l’élève sera averti dès que les surveillants seront là.
— Ils devraient déjà être là, il est huit heures moins dix, dit-il impatiemment. Cherchez-en un et prévenez-le. Avertissez Desforges d’effacer d’urgence les graffitis dans l’ascenseur.
— Oui, Monsieur le Proviseur. Tout de suite Monsieur le Proviseur. Cela va aller, Monsieur le Proviseur. »
Cette dernière phrase, dite avec finesse, d’une voix douce, était la formule qu’utilisait la première secrétaire lorsqu’elle pressentait la venue d’un orage. Elle visait à calmer les nerfs à vif de son chef et ménager son humeur dépressive en affirmant que la journée se passerait bien.
Elle trouva Pablo, un jeune Portugais, qui mettait en ordre son bureau dans la salle de Régine Putois, et l’envoya aussitôt à la recherche de Félix.
La sonnerie venait de retentir lorsqu’il atteignit la salle 22O, au deuxième étage. La classe était devant la porte, prête à entrer en cours d’anglais à l’arrivée de Mme Simone Etourneau, surnommée « En voiture Simone ! » en raison de son addiction aux sorties théâtrales en autocar. Il aborda un garçon mâchant du chewing-gum, nonchalamment adossé au mur.
« Félix, le proviseur te demande à son bureau immédiatement. »
L’autre ramassa en maugréant son sac couvert de gribouillis illisibles.
« Qu’est-ce qui’m veut encore c’con là ?
— Soyez respectueux, s’il vous plait, et dépêchez-vous ! »
Il s’éloigna en traînant les pieds. Arrivé à proximité des toilettes, une odeur d’urine lui rappela que Roméo privilégiait le nettoyage des classes et des bureaux à partir de sept heures, ce qui repoussait celui des sanitaires à 1O heures, moment où chacun en avait le plus besoin. Comme guidé par cette odeur, il bifurqua vers l’entrée où s’affairait une femme de ménage, et alla jeter dans la poubelle du fond deux objets de son sac. Puis, comme à contrecœur, il prit le chemin du hall, sans se hâter. Le concierge, toujours à l’affût derrière sa vitre, le regarda curieusement passer, pressentant quelque incident.
Il atteignait la grande porte du bureau du proviseur lorsqu’elle s’ouvrit brusquement et Roméo, le visage de marbre, l’invita à entrer. Debout au milieu du tapis à arabesques, il l’admonesta vertement.
« Alors, monsieur Pervanche, on recommence à faire des siennes, on dégrade les murs, on écrit des graffitis insultants à mon égard dans l’ascenseur ? »
Une colère mal contenue perçait dans ses paroles. Il le sentait prêt à éclater d’un instant à l’autre, ce qui n’était pas sans lui plaire, car il aimait faire enrager l’autorité.
Il ouvrit de grands yeux, avec la feinte surprise d’un garnement dès longtemps exercé à esquiver les remontrances sous le masque de l’innocence.
« Moi M’sieur ? Mais j’ai rien fait, M’sieur, j’vous jure. »
Roméo le toisa comme un boxeur mesurant l’envergure de l’adversaire qu’il se prépare à mettre K.O.
« Tu n’as rien fait, hein ? Viens avec moi ! »
Et il l’entraîna vers l’ascenseur, où il lui montra les signes du passage du Chat.
Roméo le toisa comme un boxeur mesurant l’envergure de l’adversaire qu’il se prépare à mettre K.O.
« Tu n’as rien fait, hein ? Viens avec moi ! »
Et il l’entraîna vers l’ascenseur, où il lui montra les signes du passage du Chat.
« Et ça, ce n’est pas toi qui l’a fait, peut-être ? »
Sa voix se faisait plus menaçante.
« Non, m’sieur, c’est pas moi. J’fais pas d’graffitis.
— Ah non ? Et ça, ce n’est pas toi non plus qui l’a fait ? »
Et il lui montra l’écriture sur son sac.
« Ça oui, M’sieur, pour décorer. Mais vous voyez bien, j’écris jamais en majuscules !
— Ne joue pas au plus malin avec moi ! Ouvre-moi ce sac ! »
Il étala sur le sol ses cahiers et ses livres, dont celui d’anglais, VOICES, était orné d’un décor baroque tracé à la plume, sa trousse de toile, noire de dessins et de numéros de téléphone, des gommes et des crayons, un effaceur, une règle en fer qu’il laissait tomber à des moments choisis des cours, un téléphone
portable bleu, cadeau d’anniversaire de sa mère, des tablettes de chewing-gum, des porte-clefs, un tube de rouge à lèvres, offert par une admiratrice, une fausse moustache dont les poils rigides s’étalaient en éventail.
Roméo s’en empara.
« Et ça, fit-il triomphalement, « c’est pas ton chat favori, peut-être ?
— Oh ça m’sieur, c’est pas méchant, » rétorqua l’autre sans se démonter, « c’est pour faire marrer les copains, j’suis pas l’seul à rigoler, y’en a qu’ont des faux nez, des fausses lunettes, des faux dentiers… »
Roméo l’interrompit brutalement.
« Ça suffit ! Où est la fourchette ? »
Il joua l’étonné.
« La fourchette ? Quelle fourchette ?
— Celle que tu utilises pour faire le coup de griffe, et le marqueur indélébile qui va avec. Car c’est bien toi, tu le reconnais, qui as fait cette trace sur le mur, et ces graffitis dans l’ascenseur ? »
Félix tomba des nues.
« Moi ? Mais pourquoi moi ? J’sais même pas d’quoi vous parlez. D’abord, j’prends jamais l’ascenseur. Ça m’donne le vertige. J’vais plus vite à pied. »
Quand Roméo vit qu’il n’en tirerait rien, il le ramena dans son bureau, le fit asseoir devant lui.
« Puisque tu ne reconnais pas l’évidence, je suis obligé de faire un rapport sur ces incidents, y compris les graffitis de la salle 1O9, sur lesquels j’étais prêt à passer l’éponge… »
Se rendant compte, après coup, qu’il avait été drôle par inadvertance, il se rattrapa de justesse :
« Si l’on peut dire ! Mais je ne donne pas cher de ta peau si tu ne reviens pas sur tes déclarations. Et je plains ta maman. »
En cela, il était sincère. Roméo éprouvait toujours une vague pitié pour les futures victimes qui avaient osé le défier. Pourtant, l’idée qu’il pourrait mieux toucher la mère en perdant le fils, lui plaisait et amenait sur ses lèvres un fin sourire démentant ses paroles.
Copyrights, Editions Chloé des Lys 2012
Jean-Claude Texier récite et mime ce passage de L’Elitiste sur YouTube. yt.cl.nr/A2PV1RrGEgU.webloc