Un texte terrible signé Jean-Louis Gillessen : CRI
Le café fume. Maman aussi. L’enfant hurle. Cinq heures et demie.
Maman crie. Les sirènes strident la nuit. Papa est rentré. Il a vomi sur le plancher.
Maman a pleuré. Papa l’a tabassée. Est ressorti. Pas assez. De tabac.
Trop. De fumée. Sans feu. Il fait froid. Décembre. Plus de chauffage.
Quand il reviendra avec ses cigarettes, elle dormira. L’enfant pas. Papa. Pas chaud.
Dans les bras. Tu vas, tais-toi. Sanglots. Du père. Alcool, bouteilles, par terre. Vides.
Pleins parents dans le rien réunis. Rien du « tout » de leur vie. Néant même désempli.
Comble. Grenier. Pièce. Arrangée. Remise. En état de fonctionner, ils survivent.
Au sommet. Paradoxe. Toxicos comblés de bar bondé. Suffocants d’intox,
ils montent chaque jour sept étages d’escaliers. Volées. Raclées.
Tu m’en mets, je les prends, mais t’en rends. Rangs plumés. De sentiments, avalés,
disparus, même plus mélangés. Bien triés, case « absents ». Cas absents pour les autres,
voisins de palier, papa et maman sont abonnés dérangés. Dérangeants.
Depuis longtemps, mais nul ne sait le danger. Ne voit. Ne veut. Tout du moins suffisamment.
Sauf bébé. « Alertez , alertez … » , chante Higelin. Jacques a dit. Pas assez écouté.
Redondance, et des mots, et des sanglots. Mi-longs. Plus étendus. Toujours. Plus encore.
Du père. Alcool, bouteilles, sur le sol. Vides. Papa. Pas chaud. Dans les bras.
Qui enserrent. Trop ... trop … trop … Tu t’agites, te débats, tu rejettes.
En arrière. Ta tête, ton p’tit corps, ton presque trépas.
Tu es là, maintenant, par terre, gisant, tombé, lâché.
Sur les vidanges papa a roulé. Maman est réveillée. Qui le frappe. Et te secoue.
Lui alors tape. Fort. Sa tête. Contre le mur. Plusieurs fois il recommence et son arcade éclate.
Sourcilière. Souricière. Toi cependant, sans sourcilier, sourdement tu entends comateux.
Nuages. C’est du bleu que tu vois. Ambulance. Lumières. Blouses blanches.
L’odeur que tu sens t’apaise autant que les mains qui te touchent.
Expertes, à la fois vives et douces. Blanc. Rouge. Pourquoi ne peux-tu boire ?
Pas avant le diagnostic. Goûte en attente sur papilles ce seul parfum de sang salivé
que l’on a quand on sait l’autre blessé. Toi, pupilles dilatées, tu ne saignes pas.
Miracle. Petit, tu es sain, tu vivras. Ecoute-les te le dire, les hommes en blanc.
Mais dans la salle aux éclairages trop puissants,
ils découvrent alors encore sur ton corps rougeurs, brûlures, blessures.
Ils ne voulaient pas, maman, papa. Ils disent aussi qu’ils n’en pouvaient rien.
Ils n’auraient jamais cru non plus, eux, les voisins.
Ce soir il fera tout à fait très froid et très vide au sommet de la Rue Haute dans la ville basse.
Impasse. Maldonne. Impair. Rouge et noir perd, manque et ne gagne pas sans tapis vert.
Deniers. Ce soir, au café, pour mieux louer « Grenier aménagé »,
la propriétaire dira qu’elle rouvrira la cheminée. Sans feu. Mais l’on peut y amener son poêle.
Ce soir, papa et maman n’y seront plus.
Toi tu dors maintenant tout nu dans lit douillet coton 27° hôpital surchauffé.
Tu auras tout vu, tout connu, de cela tout vécu et vaincu, puisque sans le vouloir tu es venu.
Au monde. Souris seulement si dans 20 ans quelque chercheur en boniments te fera dire
que l’embryon déjà décide du choix de ses parents. Sciemment, « foetusant ».
Balivernes de divan ! N’institue jamais tes neurones, petit, même si d’institution en institution,
qui pour toi feront quête de parents de location, parfois tu te ressens loque à terre.
Solitaire. Sol. Bouteille. Vide. A la mer. Taire, mère, père, vagues, océan de divagations.
Vidange non consignée, retour bidon, ton ange est périmé, mais nous irons.
Oui, toi et moi, éducateur, y écouter ton message. In a bottle. A la mer.
Et pour mieux apprendre à pleinement jouir ensuite de son silence,
dans l’écho de l’immensité tu pourras d’abord, très fort et sans que nul ne te fasse violence,
tu pourras … crier,
rire et crier.
Jean - Louis Gillessen