Une nouvelle d'Alain Magerotte : Qu'est-il arrivé à Zorro, 2e partie
Qu'est-il arrivé à Zorro, 2e partie
Pour l’instant, je n’ai pas progressé d’un poil de moustache dans ma recherche mais, foi de Garfield, je finirai par mettre la main sur ce chat noir avec un médaillon blanc sur la gorge, sur ce Zorro… je retournerai tout le pays s’il le faut, je suivrai la moindre piste sauf… si elle me conduit dans le Massif Central où, je m’interdis de séjour. Parce que là-bas, même un chat n’y retrouverait pas ses jeunes. Alors, moi… questionner les autochtones… il y a des «cha» partout, dans chaque bout de phrases.
«Cha ne peut plus durer comme cha… cha chuffit, maintenant…. Cha commence à bien faire… crois-moi quand je dis qu’une poule cha pond et un chapon, cha pond pas !»
Question de «hauteur», je me retrouve plutôt au pied du Puy-de-Dôme qu’au sommet.
Mais non, je ne rêve pas… là-bas, au bout de la rue, une superbe créature ondule de la croupe. Je la reconnais… j’ai là, dans ma ligne de mire, ladies and gentlemen, «Catwoman» herself !
Que fait-elle en ces lieux ? Est-elle en quête d’un super matou ? Dans ce cas, Zorro ferait bien l’affaire, du moins si je m’en réfère aux photos. Mais, au fait, ils se connaissent peut-être déjà… il lui a refilé un rencard. Suivons «Catwoman», it’s perhaps interesting...
La féline ne sait pas que je suis sur ses… coussinets; eh oui, c’est tout un art, l’espion aux pattes de velours en est même jaloux.
Cette balade se termine… au zoo. Comment n’y ai-je pas pensé ? Suis-je bête… je n’ai aucune excuse parce que j’ai vu le film. Il est évident que le lion de la Goldwyn Mayer, ou la panthère de René Château, sied mieux à son standing qu’un vulgaire chat de gouttière. J’abandonne «Catwoman» à son rendez-vous et peste contre mon manque de jugeote. Je devrais boire un coup d’eau pour m’éclaircir les idées. J’avise un Carrefour où j’entre pour acheter de la Contrex.
Je n’ai pas fait trois pas dans la boutique quand je repère une vieille connaissance au rayon «aliments pour chats»… Ginette Danville !
Que fait-elle là ? Pacha aurait-il réintégré le logis ? En tous cas, la mémère ne lésine pas sur la qualité de la marchandise, elle achète des boîtes de Gourmet. Le retour du chat fugueur, ça se fête dignement dans la chaumière.
Je la laisse vaquer à ses emplettes et vais chercher ma bouteille que j’extrais d’un pack. Nous nous retrouvons à faire la file à deux caisses différentes. Ginette Danville a un client d’avance sur moi et ne m’a toujours pas aperçu. J’observe cette femme à la dérobée. Cette femme qui ne ressemble plus à celle au cœur en lambeaux que j’avais rencontrée la semaine passée. Elle est toute pimpante; le retour de Pacha lui a rendu une félicité qui irradie sous la lumière artificielle du magasin.
Quand arrive mon tour à la caisse, elle quitte les lieux. J’ai vite fait de régler mon achat. A peine sorti, je décapsule la bouteille pour porter le goulot à mes lèvres. Une bonne rasade d’eau et le ciboulot tourne à nouveau à plein régime. J’enfile un raccourci pour me rendre chez Ginette Danville qui, à son retour, me voit l’attendre en faisant les cent pas devant son immeuble. A ma vue, elle devient plus pâle que Michaël Jackson. Par sa réaction, elle en viendrait à me faire douter de la normalité de mes traits. O.K., on ne s’est plus vu depuis une semaine, mais ai-je changé au point de provoquer une telle frayeur ? En me rasant ce matin, j’ai juste remarqué, sur l’aile gauche du nez, un «début de bouton» que je m’empresserai de presser ce soir… vraiment pas de quoi fouetter un chat.
Non… le brusque changement de couleur épidermique de Ginette Danville n’est pas lié à mon faciès… il est plutôt dû à ma présence gênante… parce que Ginette Danville, j’en suis certain à présent, cache un terrible secret. Et moi, je vous le livre ce terrible secret : ces boîtes de Gourmet ne sont pas destinées à Pacha, mais à Zorro !… Thank you, Contrex.
« Monsieur Garfield, quelle bonne surprise… vous… vous avez de nouveaux éléments concernant la disparition de Pacha ? » questionne-t-elle sur un ton presque suppliant.
Ginette Danville croit me duper alors que sa question me conforte dans mon idée, elle est même un aveu. Comme je n’ai pas l’intention de jouer au jeu du chat et de la souris, je lui rétorque d’un air grave, à mille lieues de ma désinvolture légendaire :
«… Auriez-vous quelques instants à me consacrer ? »
« Il n’est rien arrivé de mal à mon tigré, j’espère… rassurez-moi tout de suite » fait-elle d’une voix cassée. Je retrouve la Ginette Danville éplorée de la semaine dernière avec… la sincérité en moins. Elle commence à tousser, agitant son corps de violents soubresauts… juste pour augmenter le pathos de sa prestation.
« Je ne sais pas… figurez-vous que j’ai cru que Pacha avait réintégré votre domicile…
- Qu’est-ce qui vous a fait croire ça ?
- Les boîtes de Gourmet que vous avez achetées…
- Les boîtes de… mais que… que signifie ?
- J’étais également à Carrefour tout à l’heure…
- Oui, je l’avoue, Monsieur Garfield… depuis la disparition de Pacha, je continue de m’approvisionner en boîtes de Gourmet, me donnant ainsi l’illusion qu’il est toujours là. »
Un chat ne retomberait pas mieux sur ses pattes. Je ne me laisse pas berner pour autant.
« Ne serions-nous pas plus à l’aise pour parler de tout ça chez vous ?
- Je n’ai pas encore eu le temps de faire le ménage, ça me gêne un petit peu…
- Je ne m’en formaliserai guère, quand j’ai une affaire en tête, je ne vois qu’elle et rien d’autre.
- Vous insistez pour rentrer ?
- J’insiste pour rentrer.
- Vous avez bien réfléchi ?
- J’ai bien réfléchi.
- C’est votre dernier mot ?
- C’est mon dernier mot.
- Dans ce cas, rentrons !
- C’est cela, rentrons !
- Vous essuierez vos pieds sur le paillasson ?
- J’essuierai mes pieds sur le paillasson.
Les dix lignes qui précèdent démontrent combien la résistance de Ginette Danville fut héroïque. Dans notre époque commémorative, il est impératif de souligner une telle attitude et de la répercuter afin que le souvenir demeure, quand la plupart des témoins de cette joute oratoire auront disparu.
Zorro est arrivé, sans se presser, d’une démarche souple, après que Ginette Danville ait ouvert la porte. Il ronronne en se frottant contre elle pour se faire gâter. La femme, ne sachant quelle attitude adopter, m’interpelle du regard, attendant un signe favorable qui l’autoriserait à répondre au désir du chat. J’acquiesce de la tête… je ne suis pas chien.
Après avoir rempli la gamelle de Zorro pour la dernière fois, avant que je le ramène chez sa propriétaire, Madame Lecloac, Ginette Danville me propose une tasse de café que je refuse. Par contre, je demande un récipient pour y verser de l’eau de ma bouteille de Contrex… ça lui évitera de me fournir une explication sur sa conduite.
Une fois le verre lampé, je comprends la raison de l’acte abominable perpétré par Ginette Danville : elle a enlevé Zorro afin de mettre un terme à ses crises de larmes; le chat ne possède-t-il pas la vertu d’être un «bouffeur de chagrins» ?
« Et maintenant, Monsieur Garfield… je présume que vous allez me livrer à la police pour qu’elle me jette en prison ? demande-t-elle d’une voix blanche.
- Etant donné les circonstances et vu le bon traitement dont a bénéficié Zorro, je n’en ferai rien…
- Oh, merci, merci beaucoup… et… pour Pacha, comptez-vous poursuivre les recherches ?
- Bien entendu…
- En attendant son retour… que me conseillez-vous ?…
- De vous méfier des buveurs d’eau ! »
Quand je sors de chez Ginette Danville, it’s raining cats and dogs.
Alain Magerotte
Nouvelle extraite de "Tous les crimes sont dans la nature"