Une nouvelle d'Alain Magerotte : Qu'est-il arrivé à Zorro, 1ere partie
Dans le milieu des fouille-merde, où je m’applique à retrouver les chats de mémères en détresse, on me surnomme Garfield… Garfield, ça me plaît au point d’avoir presque oublié mon véritable patronyme. Je pense à John Garfield, un acteur américain qui a joué dans la première version du film «Le facteur sonne toujours deux fois»… les américains sont les spécialistes des films noirs… les gangsters, les femmes fatales, les «privés»… bon, je l’admets, passer son temps à rechercher des chats, it’s not very serious… donc pas américain… je m’en fous, je ne suis pas américain. En réalité, si on me surnomme Garfield, ce n’est pas en référence à l’acteur ou à mon goût prononcé pour le polar, mais plutôt à ma spécialité… do you understand ?
« Allô, Monsieur Garfield ?… Madame Lecloac à l’appareil, venez tout de suite, il y a urgence… »
Si Madame Lecloac me demande de rappliquer dare-dare, ce n’est pas pour me montrer ses photos de vacances… j’ai eu l’occasion de les admirer la semaine dernière. Elle les réussit plutôt bien. Un concours de circonstances. Non pas qu’elle réussisse ses photos, mais le fait de les avoir déjà vues. C’était chez Ginette Danville où se trouvait Madame Lecloac. Ce sont deux amies. Ginette Danville m’avait contacté parce qu’elle avait perdu Pacha, son chat, un beau rouquin tigré.
Malgré la vue de clichés remplis de soleil d’un séjour hellénique enchanteur, Ginette Danville demeurait inconsolable. Ce fut donc avec une discrétion de femme adultère que Madame Lecloac et moi, nous nous sommes esbaudis devant l’Acropole et le Parthénon. A ce jour, je n’ai toujours pas retrouvé le tigré.
Dès que je pointe mon nez chez Madame Lecloac, la malheureuse se jette sur moi comme les clients d’un grand magasin sur les soldes. Son rimmel, refoulé par des larmes sincères, coule sur ses joues encore cuivrées de son escapade grecque.
« Zorro, mon chat, il a disparu ! »
Madame Lecloac a revêtu un peignoir en éponge de couleur bleue, unique frontière entre sa peau et votre serviteur. Elle se blottit si fort contre mon corps d’athlète que j’appréhende le moment où elle me fera le coup éculé de la vieille toujours compétitive qui désire, pour se consoler, s’offrir une gâterie avec un gars dans la force de l’âge. Je sens, en effet, la fermeté de ses bonbonnes à oxygène.
Malgré les atouts corporels de Madame Lecloac, je ne m’imagine pas faisant une partie de jambes en l’air avec une dame ayant atteint le troisième âge, même si c’est depuis peu. Les vieilles, je les vois plutôt faire sauter leurs petits-enfants sur les genoux ou fabriquer des confitures… et non des galipettes au fond d’un boudoir.
Madame Lecloac relâche enfin son étreinte, pose ses mains sur mes robustes épaules, et me dit, la voix déformée par le chagrin :
« Je vous en conjure, Monsieur Garfield, retrouvez mon Zorro ! »
Parfait, nous resterons concentrés sur le but de ma visite. Dorénavant, que les choses soient nettes; pas besoin de jouer les Marilyn pour me convaincre de m’occuper de la disparition d’un minet, quelle que soit sa race… persan, birman, scottish fold, british shorthair, tonkinois, american curl, russian blue ou, chat de gouttière… it’s my business, après tout.
Madame Lecloac aperçoit une touffe de poil sur le tapis. Elle la ramasse pour la malaxer, pensive, entre ses doigts. Je me dis qu’on est reparti pour une crise de larmes. Remember when…
Il n’en est rien. Le fait de prendre du poil de la bête l’a ragaillardie. Aussi, se dirige-t-elle, déterminée, vers un secrétaire qu’elle ouvre pour farfouiller dans une pochette en plastique dont elle extrait des photos de l’animal. Zorro est un chat de gouttière. Il est noir avec un médaillon blanc sur la gorge.
Madame Lecloac disparaît ensuite dans la salle de bains pour enfiler une tenue moins suggestive. A son retour, elle me propose un verre de Brandy que je refuse. Par contre, je demande un verre d’eau. Rien de tel pour faire fonctionner les méninges.
Je parcours à nouveau les clichés du chat. Madame Lecloac prépare un chèque, un geste qui me remplit d’une intense émotion à chaque fois.
Je glisse le précieux papier, sur lequel sont alignés quelques zéros, dans ma poche, ainsi qu’une photo du félin. Par égard au montant qui m’a été octroyé, j’entreprends mes recherches immediately en me rendant chez le voisin, le bien nommé Maroille.
Le type, chemisette blanche à la tonton Marcel, bretelles Mickey pour retenir un futal gris, jauni le long de la braguette, les joues rosées d’Anjou et truffe torchée au beaujolpif, me reçoit dans un gourbi où l’air frais a fui la concentration des mauvaises odeurs. Je surprends le gaillard en flagrant délit de voyeurisme télévisuel. En clair, pas besoin de décodeur, Maroille se dégourdissait le manche en se tapant un porno.
Je ne m’en formalise guère, étant juste gêné d’avoir interrompu une séance libidineuse si relaxante. I am sorry.
« Ainsi donc, la mère Lecloac a perdu son chat, lance le bonhomme, ça ne vous empêchera pas de boire un coup » ajoute-t-il en me servant un verre aussitôt.
« Après la soupe, un coup de vin préserve d’un écu au médecin » se croit-il obligé d’ajouter pour se justifier.
J’apprends que le zigue n’est pas un adepte de la grande migration. Il ne s’autorise qu’à passer de la salle à manger à la chambre à coucher avec un détour forcé par la cuisine où, près du frigo, s’amoncellent des cadavres de bouteilles de rouge. De plus, ses courses sont faites par Madeleine, la fille des Poirier qui habitent l’étage du dessous. En échange, la gamine s’achète des friandises au moyen de l’argent que donne Maroille en remerciement du service rendu.
« Vous savez, M’sieur Garfield, Zorro est un matou, un vrai, un tatoué… et moi, je m’intéresse qu’aux chattes comme vous avez pu le constater en arrivant… encore un verre ? »
Afin de ne pas m’enliser davantage dans les eaux troubles du sexe, ajoutées aux vapeurs enivrantes de l’alcool; désireux également d’élever le niveau de l’enquête, je prends congé de Maroille.
Etape suivante : les Poirier précisément. Là, j’atterris dans un autre univers. Pour un qui voulait prendre de la hauteur, je suis servi… il y a un crucifix dans chacune des pièces. En outre, la maîtresse de maison apporte son écot à cette «propreté spirituelle» en distillant à grands coups de produits d’entretien, des odeurs opposées à celles qui m’ont agressé chez Maroille. Tout ici est propre, bien rangé; la maîtresse des lieux obligeant même ses visiteurs à ôter leurs chaussures.
Les Poirier sont propriétaires de leur appartement qu’Edgar, le father, rembourse à tempérament… logique pour un chaud lapin qui héberge trois mouflets sous son toit. Mathieu, Marc, et Madeleine dont j’ai déjà parlé. Des prénoms bibliques… normal, is’nt it ?
J’ai un peu de temps devant moi, le leader ne sera visible que d’ici une dizaine de minutes. Il prend un bain pendant que son épouse récure la cuisine équipée dernier modèle. La fée du logis me sert un verre d’eau que je bois cul sec. Les effets bénéfiques de la flotte sur mes neurones ne tardent pas : je comprends, à la vue des enfants Poirier, que dans cette piaule, j’évolue dans un monde cher à Feydeau et à Dieu.
Voilà un parallèle qui risque de provoquer un tsunami dans les bénitiers.
D’accord, autant le mécanisme des fables vaudevillesques, tournant autour de la trilogie «mari/ femme/ amant», est simpliste, autant celui de la Sainte Trinité, mettant en scène le trio «Père/ Fils/ Saint-Esprit», est complexe.
Mais, au bout du compte, la différence tient à peu de choses… à un placard ! Dans les comédies, l’amant s’y réfugie pour se cacher du mari; de l’autre côté, le bouillant Saint-Esprit batifole en toute impunité depuis des siècles et des siècles, amen… et surtout ailleurs.
Que de jeunes filles n’ont-elles invoqué son intervention… c’est ce qu’a dû faire la mère Poirier pour Madeleine. Car, si Marc et Mathieu se ressemblent, la troisième n’a rien de commun avec ses frérots. Calotin en diable, le chef de clan a dû interpréter ce dérapage comme un cadeau du ciel.
Quand paraît Edgar Poirier, dans sa robe de chambre en satin, je lui demande s’il est au courant du drame vécu par Madame Lecloac. Il donne sa langue au chat et, c’est comme une révélation. Non pas que je le prisse pour Dieu, mais un homme capable d’un tel sacrifice, ne peut se montrer cruel en séquestrant un animal. Je quitte donc ce lieu saint, éliminant, par la même occasion, de ma liste de suspects, Dick Rivers qui ne s’intéresse qu’aux chats sauvages, et Philippe Geluck dont le chat est doté de la parole… I suppose que Madame Lecloac n’aurait pas négligé pareil détail concernant Zorro.
(Fin 1ere partie. La suite demain !!!!!!)
Alain Magerotte
Nouvelle extraite de "Tous les crimes sont dans la nature"