Une sorte de gentleman anglais: une nouvelle de Micheline Boland

Publié le par aloys.over-blog.com

 

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UNE SORTE DE GENTLEMAN ANGLAIS

 

Tous les jours, il passait et repassait dans la rue. Il ressemblait à un gentleman anglais du début du vingtième siècle : fine moustache, cheveux gominés, lunettes aux montures métalliques, veston en tweed, pantalon de flanelle, démarche guindée, pas rapide. Il tenait dans la main droite, un cabas pareil à ceux qu'utilisent certaines dames âgées pour faire leur marché. Il semblait avoir atteint une bonne soixantaine d'années.

 

Tous les jours, Catherine guettait le passage de l'homme. Quand elle l'apercevait, son cœur s'emballait et ses mains se cramponnaient très fort aux accoudoirs de son fauteuil. Depuis l'accident de voiture qui l'avait laissée paralysée, Catherine passait ses journées dans son fauteuil roulant. Le plus souvent, elle se tenait face à la porte fenêtre du séjour, au premier étage de sa maison.

 

Catherine élaborait des romans à propos des gens qui allaient et venaient dans la rue. Il y avait des histoires romantiques comme celle de ce couple de jeunes gens qui, quelle que soit la météo, avançaient serrés l'un contre l'autre. Il y avait des histoires dramatiques comme celle de ce gamin que sa mère houspillait sur le chemin de l'école. Fenêtres fermées, Catherine avait même entendu les cris de la mère : "Alex t'es un incapable. T'oublie tout. Oublier ton sac de gym ! J'en ai marre de toi, tu ressembles à ton père !"

 

Catherine se créait des scénarios, imaginait des avants et des après le passage devant ses fenêtres.

 

À propos de celui qu'elle surnommait le gentleman anglais, les hypothèses de Catherine étaient nombreuses. Elle avait tour à tour songé qu'il marchait pour le simple plaisir de marcher, pour maintenir sa forme physique, pour fuir une épouse acariâtre, pour faire des courses pour des vieux de son quartier. Ce qui intriguait le plus Catherine c'était le cabas. Pourquoi ce cabas, jour après jour ?

 

Catherine avait parlé de l'homme à Camille, son auxiliaire de vie et à David, son mari, mais ceux-ci ne s'intéressaient pas à ce genre de chose. Pour David, seule l'oisiveté de Catherine pouvait l'amener à se questionner au sujet du gentleman anglais. Selon lui, avec ou sans cabas, quand elle était encore représentante en produits de beauté, elle n'aurait pas même pas remarqué cet individu si elle l'avait croisé en rue.

 

La pluie, le brouillard, le gel, la neige, la canicule. Aucun phénomène météorologique ne semblait capable d'interrompre la marche de l'homme. Seul le dimanche interrompait ses déplacements. Ah si elle avait pu le suivre à l'aller et au retour ! Ah si elle avait osé demander à Camille de le faire !

 

Catherine se sentait impuissante. Elle avait besoin d'une aide pour prendre sa douche, utiliser l'ascenseur d'escalier, replier son fauteuil, s'asseoir dans la voiture, enfiler des vêtements et n'avait aucun scrupule à solliciter l'intervention de Camille ou de David en de telles occasions. Mais requérir leur assistance pour assouvir sa curiosité, cela lui paraissait impensable. Ils se seraient sans doute moqués d'elle, pensait-elle et Catherine avait horreur des railleries.

 

Catherine désespérait de savoir un jour ce qui faisait marcher le gentleman anglais.

 

Un matin de février, pourtant, Catherine sut… C'est Camille, qui rentrant d'une visite chez son dentiste, informa Catherine.

 

Catherine qui avait entendu le bruit des sirènes et avait vu le ballet des véhicules de police et des ambulances, n'avait pu deviner la cause de ce remue-ménage. Camille lui fournit les explications… Le gentleman anglais avait été renversé sur le trottoir à quelques mètres de chez elle par un automobiliste dont la voiture avait dérapé sur une plaque de verglas. Le cabas s'était ouvert livrant aux yeux des passants quantité de petits sachets en plastique remplis de poudre blanche.

 

Le gentleman anglais n'était donc qu'un dealer sans scrupule. Non pas un amoureux transis, un voisin serviable, un homme soucieux de sa forme, non, un dealer qui refilait sa marchandise à de jeunes revendeurs !

 

L'affaire fit grand bruit en ville. Catherine dut se contenter de ragots rapportés par Camille et des articles de journaux ! Mais son imagination broda au-delà des ragots et des articles de presse.

 

Catherine avait du pain sur la planche pour des jours et des jours.

 

 

Micheline Boland

 

http://homeusers.brutele.be/bolandecrits

http://micheline-ecrit.blogspot.com/

Publié dans Nouvelle

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M
<br /> <br /> Merci Philippe pour le commentaire et pour l'attention portée à cette nouvelle. <br /> <br /> <br /> <br />
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P
<br /> <br /> Pas de chance pour Catherine! Elle ne le reverra plus de sitôt!<br /> <br /> <br /> <br />
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M
<br /> <br /> Merci Carine Laure et à bientôt !<br /> <br /> <br /> <br />
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C
<br /> <br /> C'est vrai que les apparences sont souvent trompeuses ...moi qui visite les humains depuis fort longtemps, je suis encore surprise ...PArfois la surprise est agréable ...<br /> <br /> <br /> La vie nous apporte son lot d'inattendus : parfois dans les sacoches, parfois ailleurs !<br /> <br /> <br /> Les nouvelles de Micheline sont une petite merveille !<br /> <br /> <br /> <br />
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M
<br /> <br /> Grand merci à Lascavia, Christine, Edmée et Steph pour leurs ciommentaires.<br /> <br /> <br /> Jean de La Fontaine l'écrivait déjà : "Garde-toi tant que vivras de juger les gens sur la mine" ! <br /> <br /> <br /> Il est vrai que Catrherine pourrait se lancer dans l'écriture et coucher sur papier les fruits de ses réflexions.<br /> <br /> <br /> <br />
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S
<br /> <br /> J'espère que Catherine va se lancer dans l'écriture ! Une nouvelle pleine de surprises!<br /> <br /> <br /> <br />
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E
<br /> <br /> Une conclusion à laquelle on ne s'attend pas! L'habit ne fait pas le moine, et le charme Old England de cet élégant monsieur cachait un secret bien peu élégant...<br /> <br /> <br /> Bravo Micheline pour ce coup de théâtre!<br /> <br /> <br /> <br />
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C
<br /> <br /> Ah la curiosité... Quand on ne peut pas l'assouvir, elle titille, et turlupine... Qui aurait cru que... un homme aussi charmant... Faut se méfier des apparences !<br /> <br /> <br /> Voyez dans mon village, 900 habitants et encore pas tous nés... et bien une famille tranquille vivait paisiblement juste à côté de l'église... des notables... il y a 15 jours, le fils cadet est<br /> retrouvé mort découpé en morceaux dans un sac poubelle balancé dans le bas-côté de l'autoroute de Clermont... Comme quoi...<br /> <br /> <br /> <br />
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L
<br /> <br /> Ce n'était donc en effet "qu'une sorte"...de gentleman ! Trompeuses sont les apparences.... Catherine saura certainement puiser dans son imagination de quoi retourner encore la situation<br /> (peut-être que les sachets n'appartenaient pas à ce passant distingué...). C'est tout l'Art de cette belle nouvelle : clore une histoire par surprise tout en laissant une fenêtre entrouverte<br /> ... J'aime beaucoup, bien sûr . Bravo, et merci Micheline.<br /> <br /> <br /> <br />
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