Didier Fond présente son nouveau roman "La maison-Dieu"
Le titre m’intrigue : La Maison-Dieu, c’est quoi ? Un couvent ?
Ca l’a été, bien avant le début de l’histoire. Mais ce n’est à présent qu’une grande maison bourgeoise construite sur les ruines de l’ancien couvent et située en haut d’une falaise. Apparemment, elle n’a rien d’inquiétant si ce n’est effectivement son nom.
Je sais que c’est le nom de la seizième lame du jeu de tarots. Mais pourquoi avoir choisi ce nom ?
Parce que sa symbolique correspond parfaitement à ce qui se passe dans le roman : destruction d’une famille, destruction d’une personnalité et d’un psychisme… Tout cela n’est pas bien gai, c’est sûr. Si on regarde attentivement la carte, on s’aperçoit que la signification est claire : le dessin représente une tour foudroyée par un éclair venu du ciel. Deux personnages apparaissent, l’un en train de chuter du haut de la tour décapitée par l’éclair et l’autre gisant au pied de l’édifice. Une pluie de ce qui pourrait être des grêlons, ou des charbons ardents accompagne le cataclysme.
J’y vois une référence à l’Apocalypse décrite par Saint-Jean, l’anéantissement par Dieu du monde terrestre. Il n’est pas difficile après de passer de ce macrocosme au microcosme qu’est l’univers de Camille, l’héroïne, univers qui se délite petit à petit autour d’elle jusqu’à la catastrophe finale.
D’où t’est venue l’idée de ce troisième roman ?
En ce qui concerne l’idée même, franchement, je n’en sais rien. Je crois que c’est une conjonction de plusieurs influences de romans lus dans ma jeunesse dont l’un était La Terrasse des Bernardini de Suzanne Prou. En fait, le tout premier jet remonte à 1976 : il y avait déjà la falaise, la maison isolée et un mystère qui planait sur ses trois occupantes. Mais l’histoire était d’une incroyable complexité, avec des éléments invraisemblables, bref, cela ne valait pas grand-chose. J’ai mis mon petit cahier dans un tiroir puis quand j’ai déménagé, je l’ai jeté. Mais je n’avais pas oublié ce décor un peu étrange et mes personnages. Bien des années plus tard, j’ai imaginé la trame de La Maison-Dieu en reprenant ce décor et en transformant complètement les personnages.
As-tu rencontré des difficultés pour écrire le roman ?
La difficulté a été de choisir un mode de narration. J’ai opté finalement, sur les conseils d’une amie, pour une alternance de points de vue. On pourrait dire que c’est un roman polyphonique dans la mesure où trois voix se font entendre : celle de Camille, l’héroïne, celle de sa grand-tante Henriette et celle du narrateur omniscient. Les deux premières demandaient une caractérisation de leur voix ce que j’ai grosso modo fait, en essayant de leur trouver un style à elles ; ce n’est toutefois rien comparé au roman qui va suivre La Maison-Dieu et qui, lui, est vraiment polyphonique. Mais on verra ça quand il aura été référencé à son tour…
On peut quand même connaître le titre de ce quatrième roman ?
La Ballade des dames à poussette…. Ou « comment devenir encore plus riche qu’on ne l’est en jetant sa morale par-dessus les moulins »… Je crains que tout le monde n’apprécie pas ce genre d’humour…
Finalement aucun de tes ouvrages ne ressemble au précédent ?
C’est exact. J’aime bien varier les sujets et les atmosphères sinon le genre. Grand-père va mourir se concentre sur les conséquences d’un événement survenu dans la jeunesse du héros, L’Annonciade est un roman policier sans enquêteur, et La Maison-Dieu est plutôt la peinture d’une personnalité qui se déconstruit peu à peu sous l’influence du passé, sans la nostalgie que l’on trouve dans Grand-père va mourir. Je crois que cette diversité correspond à la fois à mes goûts littéraires et à ma propre personnalité. Après tout, je suis né sous le signe des Gémeaux, signe double et signe de la mobilité par excellence, voire de la double personnalité.
Après les cartes, l’astrologie… Aurais-tu un petit côté irrationnel ?
Un peu, je l’avoue. Je ne crois cependant pas dur comme fer aux cartomanciennes et aux astrologues, loin de là. Les français sont réputés pour être cartésiens, ne l’oublions pas ; de plus, nous sommes les enfants des Lumières, donc supposés être très rationnels. Mais finalement, il n’est pas plus absurde de croire que les astres nous influencent que de croire en un Dieu dont strictement rien ne prouve l’existence… Ce n’est qu’une question de foi et de recherche d’explication à des problèmes dont la solution nous dépasse encore. Et puis les gens totalement matérialistes et rationnels deviennent ennuyeux, à la longue… Il leur manque un petit coin d’ombre que je trouve très attirant.
En guise de conclusion ?
C’est évident : courez vite acheter La Maison-Dieu avant que le livre ne soit en rupture de stock…
Extrait des premières pages :
C'était un joli petit village, aux toits colorés, blotti à l'ombre d'une falaise au pied de laquelle coulait une rivière. En été, seul un mince filet clair, qui permettait à peine de se mouiller les pieds, se prélassait paresseusement sur son lit de cailloux bruns. Mais au printemps, l'eau descendait furieusement des lointaines montagnes, impétueuse, torrentueuse, et le courant charriait parfois des branches arrachées aux arbres qui bordaient les rives. La rivière grondait comme un animal en colère et se ruait à l'assaut de la falaise, ennemi séculaire qu'elle s'obstinait à vouloir vaincre, mais qui la repoussait, invulnérable, forte de son implacable détermination. Quelquefois, la fureur des eaux était si intense qu'elles parvenaient à arracher à ce mur vertigineux et presque lisse quelques pierres qui s'effondraient avec un bruit clair dans le torrent. Le rugissement qui accueillait cette semi victoire faisait froncer les sourcils des habitants du village. Tiens, des rochers viennent de dégringoler. Constat banal, qui n'émouvait personne. La blessure n'était jamais profonde. En aucun cas, même dans ses pires moments de démence, l'eau n'était capable de menacer la vie de son adversaire. La falaise gardait cependant des cicatrices de ces combats antérieurs, acharnés mais inutiles. La rivière devait s'avouer vaincue, et tout en hurlant d'une rage impuissante, contournait cet obstacle et s'élançait vers les gorges des Roches Noires, toutes proches, dans lesquelles elle s'engouffrait avec un bruit effrayant. Très étroites, les gorges renvoyaient l'écho de ce pandémonium qui se déchaînait entre les parois sombres et sinistres. La rivière atteignait ici le summum de sa puissance et de sa folie. Nul être vivant, bête ou homme, n'aurait osé s'aventurer dans les Roches Noires et braver les clameurs de cette armée de démons. Quelques kilomètres plus loin, à la sortie des gorges, le courant s'apaisait enfin, l'eau, épuisée, se calmait ; au tumulte précédent succédait un murmure reposant tandis que la rivière s'étalait dans son lit, large, profond, et se dirigeait vers la ville toute proche.
Le village n'avait jamais été menacé par les colères du torrent. Il était bâti sur sa rive gauche et en surplombait le cours. Au moment des grandes crues, seule la route qui montait à la Maison-Dieu était coupée. Mais comme il y avait des années que plus personne n'habitait cet ancien couvent, la vie quotidienne n'en était en aucune façon bouleversée. Chaque année, le pont qui enjambait la rivière et permettait ainsi de s'engager sur le chemin qui menait au sommet de la falaise subissait des dommages plus ou moins importants. Un jour, il va finir par s'effondrer, disait-on, indifférent à ce futur cataclysme. Qui pouvait avoir envie de grimper là-haut à part quelques touristes, ceux que le village voyait débarquer à partir du mois de juin ?
Ce petit bourg comptait environ deux mille cinq cents âmes (nettement plus pendant l'été), et il étirait ses maisons autour de la place centrale, toute ronde. Il avait été construit en cercles concentriques et chaque rue transversale ramenait les promeneurs sur la place, véritable cœur et poumon du village. Il y avait peu de commerçants, suffisamment cependant pour permettre aux habitants de se nourrir et de verser leurs économies sur leur compte au Crédit Agricole dont l'agence, flambant neuve, se trouvait dans la Grande Rue, qui s'ouvrait à la gauche de la papeterie bureau de tabac et, tournant le dos à la falaise, s'élançait vers la plaine, devenant, une fois les dernières maisons franchies, une route tortueuse qui descendait à la rencontre de la nationale, celle qui permettait, après bien des efforts, d'atteindre la vallée du Rhône.
Du haut de la falaise, quasiment verticale, un à pic profond de près de cent mètres plongeait vers la rivière, sans offrir la moindre prise pour s'accrocher en cas de chute. On se souvenait encore de l'accident qui avait eu lieu cinq ans auparavant : deux malheureux touristes avaient perdu l'équilibre et s'étaient écrasés en bas, sans avoir eu une seule chance de salut. Ce drame avait vivement ému le village ; il avait été question de ceinturer le haut de la falaise d'une barrière, pour empêcher que de telles tragédies se renouvellent. Et puis, on avait eu d'autres soucis, d'autres problèmes à régler, et on s'était contenté de planter une pancarte indiquant que les bords du gouffre étaient dangereux à cause de leur instabilité, et qu'il ne fallait pas s'approcher trop près. On avait estimé que l'avertissement était suffisamment clair, et qu'après tout, si les gens ne voulaient pas le lire, ils étaient bien libres de finir en cadavres sanguinolents au fond de l'abîme.
Didier Fond
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